Traité

PETIT TRAITE DU VOYAGE DANS LE TEMPS









Un petit tour sur le réseau Internet vous convaincra immédiatement de l'actualité du thème du voyage dans le temps. Introduisez dans un moteur de recherche les mots-clés "temps" ou "temps et paradoxes", ou encore "voyage dans le temps", et vous verrez apparaître les adresses de sites plus insolites les uns que les autres. Votre moisson d'informations sera décuplée si vous introduisez les mêmes termes en anglais, tant il est vrai que plus de 90% des sites sont conçus dans cette langue. Vous découvrirez notamment l'existence du "Time Travel Research Center" et du "Time Travel Institute", dévoués à la recherche d'un moyen de voyager dans le temps.

Sur le Web, la palme de la popularité revient sans conteste à Doctor Who, la série anglaise mythique dont la diffusion s'est étalée sur 26 ans. La BBC a d'ailleurs a entamé la rediffusion de cette série sans pareille.

En français, le site le plus complet sur les thèmes du temps et du voyage dans le temps est le site du projet CHRONOSCOPE,    l'espace « temps », à l'adresse http://www.ifrance.com/timeworld.



L'actualité du voyage dans le temps, c'est le Vatican: le Père Ernetti, un musicologue italien spécialisé en musique ancienne, aurait effectué des sauts dans le passé au moyen d'une machine à voyager dans le temps fonctionnant selon un principe holographique et électromagnétique. Ses révélations ont provoqué une affaire d'état en Italie. Les plans secrets de sa machine seraient pieusement gardés au Vatican.



L'actualité du voyage dans le temps, c'est encore le mystère qui persiste autour de la célèbre expérience Philadelphia qui a vu l'U.S.S. Eldridge, un navire de l'armée américaine, disparaître subitement de la réalité pour réapparaître    armée, NASA, CIA.



L'actualité du voyage dans le temps, c'est aussi le Consortium.

Le Consortium est constitué de sept chercheurs répartis sur deux continents et qui réfléchissent à la façon de concevoir une machine à voyager dans le temps. Les deux plus connus d'entre eux sont le physicien américain Kip Thorne et le physicien russe Igor Novikov. Suite à la demande de l'écrivain Carl Sagan à Kip Thorne de lui proposer un moyen scientifiquement valable de voyager dans l'espace à travers un raccourci de l'espace-temps, Thorne et Novikov se rendent compte que, sous certaines conditions, ce raccourci peut constituer une "Boucle du Genre Temps", autrement dit une machine à voyager dans le temps.



Le physicien Stephen Hawking apporte sa touche personnelle au débat. Niant, dans un premier temps, la possibilité de se déplacer un jour dans le temps, car nous aurions déjà été envahi par des hordes de touristes du futur, il pense à présent que rien n'interdit d'envisager d'utiliser les ressources offertes par les Trous Noirs pour aller visiter des époques passées ou futures.



Hawking, Novikov et Thorne sont tous trois des spécialistes en physique théorique. Ils démontrent que l'intérêt pour le thème du déplacement dans le temps stimule la recherche fondamentale, qui permet de mieux saisir la structure profonde du réel. Leurs travaux ont pour cadre la théorie de la relativité d'Einstein. Dès le début du siècle, devant le Paradoxe des jumeaux que le physicien Paul Langevin avait tiré des équations de sa théorie, Einstein était pleinement conscient des perspectives offertes par le fruit de ses cogitations.



Un mot encore sur l'association Kronos. Fondée par le physicien Etienne Klein et l'astrophysicien Marc Lachièze-Rey, elle regroupe des chercheurs de toutes disciplines s'intéressant à la question du temps.



Nous verrons qu'aucun autre terme que celui d'ACTUALITE ne peut qualifier le thème du voyage dans le temps.

Thème de fiction par excellence du 20è siècle, et au cœur des préoccupations de quelques physiciens de grand renom, "le voyage dans le temps", à volonté, avec ou sans l'aide d'une machine, mérite qu'on lui consacre un ouvrage qui fasse le point sur la question et de sa flèche. A ce propos, on ne peut passer sous silence les noms du chimiste et prix Nobel Ilya Prigogine et du mathématicien et médaillé Field René Thom qui sont les deux principaux protagonistes du débat et de la querelle concernant la question du déterminisme.



Tout le monde a vu au moins un volet de la trilogie "Retour vers le futur", Marty et Doc Brown au volant de la désormais célèbre DeLorean, ou un épisode de l'autre célèbre trilogie, "Les visiteurs", avec Jacquouille et Montmirail traversant les âges pour multiplier les situations cocasses au 20è siècle. La série télévisée "Code Quantum" a ravi de nombreux téléspectateurs, et "Au cœur du temps" éveille la nostalgie des grandes séries des années 60 et 70.



Personne n'a oublié les nombreux sauts dans le temps de l'Enterprise, le célèbre vaisseau de la série Star Trek.



Il est significatif que ce soit la bande dessinée Le piège diabolique qui ait inspiré les concepteurs d'un remarquable  Cd-rom consacré à une œuvre d'E.P. Jacobs.

Et les amateurs de jeux informatiques apprécient à leur juste valeur les logiciels "Time commando", "Buried in time", "Lost in time", sans oublier les incursions au Moyen-âge de Hype le Playmobil.



Valérian et Laureline, les agents spatio-temporels, ont des admirateurs partout dans le monde.



Même la marque Lego a consacré une de ses boîtes à la construction d'une machine à explorer le temps.



Qu'y a-t-il de si fascinant dans le thème du "voyage dans le temps"?



Il s'agit sans doute du plus beau rêve que l'on puisse imaginer: revivre des événements heureux, corriger des erreurs du passé, découvrir l'avenir…



Plus que l'immortalité, le voyage dans le temps représente le rêve de maîtrise absolue de la réalité. D'ailleurs, la possibilité de se déplacer à volonté dans le temps permettrait de savoir si l'on a découvert un jour le secret de la vie éternelle. L'inverse est vrai aussi, mais parvenir à l'époque où l'on a découvert le moyen de se déplacer dans le temps risque de prendre un peu plus de temps.



Si le thème du temps rassemble 500000 références à travers le monde depuis trois millénaires, le thème du voyage dans le temps peut s'enorgueillir d'être au cœur de 12000 œuvres depuis un siècle.



Thème philosophique, scientifique, humain, il stimule l'activité des neurones et touche notre sensibilité, il permet même de saisir la complexité profonde de la réalité et le caractère magique de l'univers. Alice au pays des merveilles temporelles ou l'Odyssée d'Ulysse à travers les âges; grâce à la machine à voyager dans le temps, nous traversons le miroir des siècles.



Tout a commencé avec l'ouvrage "La machine à explorer le temps" de H.G. Wells, en 1895. Le roman de Wells, considéré par les spécialistes comme un des ouvrages marquants de cette fin de millénaire, inaugure le thème de fiction par excellence du 20è siècle. C'est la première fois qu'un auteur permet à son héros de voyager à volonté dans le temps au moyen d'une machine.



Dans la foulée, l'écrivain français René Barjavel synthétisera dans son roman "Le voyageur imprudent", paru en 1944, les paradoxes liés au déplacement dans le temps.



Et si la possibilité du "déplacement dans le temps" semble relever d'un tour de magie, il ne faut pas oublier que le véritable tour de magie consiste dans l'existence du temps, de l'univers lui-même. Au fond, le plus beau des rêves, c'est la réalité elle-même, au "présent".









PROLOGUE

______





Le thème du "voyage dans le temps" est vaste et complexe. Pour le cerner, nous allons nous mettre dans la peau d'un enquêteur qui cherche à découvrir et à rassembler les données essentielles concernant les notions de temps et de voyage dans le temps, et les indices qui conduisent à la "machine à voyager dans le temps". Le temps nous concerne tous et touche à tous les domaines du savoir: psychologie, mathématiques, arts, physique, histoire, biologie, philosophie, littérature... Nous devons enfiler les combinaisons de l'ingénieur, de l'artiste, du savant, du stratège, du compositeur, de l'informaticien, de l'illusionniste, du chef d'orchestre, du joueur d'échecs, du penseur... mais toujours avec le souci d'aller à l'essentiel.



Deux sections: "science", "fiction", délimitent le contenu de chaque chapitre.







Les conceptions du temps

----------------------



Avant de concentrer notre attention sur les "moyens" de voyager dans le temps, arrêtons-nous un instant sur la notion de temps et voyons comment l'abordent les écrivains, les hommes de science et les philosophes qui ont réfléchi à la possibilité de voyager dans le temps.

Le temps est considéré comme LA question philosophique par excellence: "Suprême loi de la nature" pour Arthur Eddington, absolu pour Isaac Newton, relatif pour Albert Einstein, indicible pour Saint-Augustin. Bien que nous entrions dans le troisième millénaire, qu'Einstein ait bouleversé notre représentation de la durée, que l'œuvre littéraire majeure de ce siècle soit intitulée "A la recherche du temps perdu" et que ce même siècle ait vu se développer avec "le voyage dans le temps" le thème de réflexion par excellence, le "temps" n'est pas d'actualité, il "est" l'actualité, irréductible "nouveauté", comme l'affirme avec force Henri Bergson dans toute son oeuvre. Mais peut-être la chose la plus intelligente écrite sur le temps l'a-t-elle été  par Herbert Georges Wells dans le premier chapitre de "La machine à explorer le temps": "Est-ce qu'un cube peut avoir une existence réelle sans durer pendant un espace de temps quelconque? Manifestement, tout corps réel doit s'étendre dans quatre directions. Il doit avoir Longueur, Largeur, Epaisseur et... Durée. Mais par une infirmité naturelle de la chair, nous inclinons à négliger ce fait. Il y a en réalité quatre dimensions: trois que nous appelons les trois plans de l'Espace, et une quatrième: le Temps. On tend cependant à établir une distinction factice entre les trois premières dimensions et la dernière, parce qu'il se trouve que nous ne prenons conscience de ce qui nous entoure que par intermittences, tandis que le temps s'écoule, du passé vers l'avenir, depuis le commencement jusqu'à la fin de notre vie".

Ces lignes extraordinaires ont été écrites en 1895 , soit dix ans avant l'élaboration par Einstein de sa théorie de la Relativité Restreinte et plus de dix ans avant l'élaboration par le mathématicien Minkowski, de sa métrique de l'espace-temps, qui constitue la véritable formalisation des idées d'Einstein.

La tentation est grande d'imaginer Wells effectuant un saut dans le futur de quelques années pour en rapporter des enseignements de la théorie d'Einstein. Ces lignes constituent peut-être la réflexion la plus profonde qui ait jamais été formulée sur le temps. S'il avait été aussi loin dans ses réflexions sur la nature du temps, sans doute Einstein aurait-il accepté l'enseignement de ses équations qui lui révélaient que l'univers est en expansion. Au fond, Wells avait déjà tiré tous les enseignements philosophiques d'une théorie qui ne sera développée que dix ans plus tard. Vous avez dit "paradoxe"?

L'enseignement essentiel que Wells a tiré de son observation du réel, c'est que ce réel est en perpétuel mouvement, il "est" mouvement, "temps" étant le terme qui traduit le plus simplement cette réalité: sans mouvement, extensif ou intensif, sans temps, pas de réel.

L'écrivain argentin J.L. Borges a donné une belle formulation du temps comme mouvement: "Le temps est le problème fondamental de l'existence... Le temps est succession... Exister, c'est être le temps, et nous-mêmes, nous sommes le temps... Je veux dire qu'il est impossible de le mettre entre parenthèses... Notre conscience passe continuellement d'un état à un autre, et c'est cela, le temps, la succession".



Henri Vernes, le père de Bob Morane, consacre un chapitre du "cycle du temps" à un exposé du professeur Hunter sur la notion de temps. Visiblement, Vernes s'inspire de "La machine à explorer le temps" de Wells, puisqu'il reprend le fameux exemple du cube de l'auteur anglais: "Imaginons en effet un cube qui possèderait longueur, largeur et épaisseur, mais non la durée. Ce serait en quelque sorte, un cube instantané qui n'aurait ni passé, ni avenir. Malgré sa longueur, sa largeur et son épaisseur, il n'existerait pas dans le temps. C'est-à-dire qu'il n'existerait pas tout court. Donc, pour qu'un objet existe, il lui faut en réalité quatre dimensions. Les trois premières, longueur, largeur et épaisseur, que nous appellerons dimensions de l'espace, et la quatrième, qui est le Temps lui-même". Même si cela a le goût du plagiat, il faut savoir gré à Vernes d'avoir rappelé ces observations pénétrantes de Wells.



Pour sa part, René Barjavel, auteur du "Voyageur imprudent", s'est abreuvé de lectures scientifiques sur les développements de la physique quantique, et en a saisi l'essentiel. Le clou du récit de Barjavel, c'est la tentative d'assassinat de Napoléon par Saint-Menoux. Saint-Menoux vit au 20è siècle et décide effectivement d'aller régler son compte au bourreau de l'Europe du début du 19è siècle. Mais au moment où Saint-Menoux tire sur le "petit" grand homme, un soldat passe dans son champ de tir et prend la balle de plein fouet. Ce ne serait pas encore trop grave pour notre héros maladroit s'il ne s'avérait que le soldat en question est son ancêtre. Le corps de Saint-Menoux commence alors à osciller entre l'être et le non-être au cours de l'agonie de son aïeul. Pendant ce temps, un siècle plus tard, le souvenir de Saint-Menoux s'efface peu à peu de la mémoire de sa fiancée Annette. Saint-Menoux n'a jamais existé! L'histoire est finie.



Mais quinze ans après la première parution de son livre, Barjavel nous offre un post-scriptum saisissant de profondeur et de réalisme dans lequel il propose une autre issue, ou plutôt une non-issue, à son récit:



Il a tué son ancêtre?

Donc il n'existe pas.

Donc il n'a pas tué son ancêtre.

Donc il existe.

Donc il a tué son ancêtre.

Donc il n'existe pas...



Saint-Menoux  recule dans le temps et tue son ancêtre avant qu'il n'ait eu des enfants. Par conséquent, les parents de Saint-Menoux n'ont pu se rencontrer et Saint-Menoux n'est pas né. Mais alors, Saint-Menoux ne peut remonter dans le temps; il ne tue donc pas son aïeul, son aïeul a des enfants, l'un de ces enfants deviendra le parent de Saint-Menoux et Saint-Menoux pourra remonter dans le temps tuer son aïeul.

Paradoxe vertigineux mais qui s'explique par l'hypothèse même de la possibilité d'un déplacement dans le temps, comme nous le verrons dans la dernière section de cet essai.

Or le même paradoxe surgit à propos de l'existence de l'univers. En effet, deux explications possibles à l'existence de l'univers: ou bien il existe depuis toujours, ou bien il provient du néant absolu, deux explications aussi absurdes l'une que l'autre; mais l'univers existe réellement. Alors, ou bien l'on devient fou, ou bien l'univers n'existe pas. Ce qui nous pousse à dire que les paradoxes développés dans cet essai ne sont pas un simple jeu de l'esprit, mais le reflet fidèle de la réalité.



Barjavel en profite pour détourner la célèbre citation de Shakespeare "To be or not to be, that is the question", en "To be and not to be, that is the answer, perhaps", et résumer notre vision actuelle de l'univers: "Aucune métaphore ne peut nous aider. Sa qualité d'être nous est inconnaissable. Seuls pourraient peut-être s'en faire une très vague idée les physiciens de notre temps, spécialistes des particules constituantes de l'atome. Car tout ce qu'ils savent de ces particules, tout ce que leur a appris d'elles l'irréfutable logique mathématique, c'est qu'à chaque instant elles ne sont ni quelque part ni ailleurs - ni ici, ni là, ni autre part - ni nulle part ni partout... Et pourtant ce sont ces particules improbables tournant autour du néant qui constituent le papier de ce livre et votre main qui le tient et votre oeil qui le regarde et votre cerveau qui s'inquiète... Inquiétantes, effrayantes, vagabondes particules de votre corps... Elles ne sont jamais à leur place et pourtant jamais ailleurs. Il n'y a rien entre elles, et là où elles sont, il n'y a rien. Alors, vous qu'êtes-vous? Etre et ne pas être, voilà la question. A moins que ce ne soit une réponse...". Barjavel traduit à sa  façon les paradoxes de l'impossibilité du mouvement de Zénon, ou le paradoxe d'Epiménide le crétois affirmant que "tous les crétois sont des menteurs".



La conception du temps de Barjavel diffère totalement de celle de Wells. Alors que Wells a insisté sur le fait que l'Etre EST temps, Barjavel défend l'idée d'une distinction possible entre l'être et le temps; il pourrait exister des choses hors du temps: "Ces coffres que vous avez vus sont enduits intérieurement d'une peinture à base de noëlite 3. Cette peinture soustrait à l'action du temps ce qui se trouve à l'intérieur du coffre. La lampe verte annule l'action de la noëlite. J'introduis dans le coffre un poulet vivant. J'éteins la lampe. Le poulet cesse de devenir. Le présent, qui n'existait pas pour lui, sera désormais l'unique forme de son temps. Il ne bouge plus, car mouvement suppose vitesse, départ et arrivée, déplacement du temps. Son sang s'arrête. Ses sensations ne courent plus le long de ses filets nerveux. Il reste figé dans le présent. Il peut demeurer ainsi mille ans, sans vieillir, sans sentir. Dès que se rallume la lampe verte, il recommence à exister. Une allumette enflammée peut rester dans mon coffre une éternité sans s'éteindre ni se consumer". On pense à la métaphore du monde telle une flamme d'allumette que l'on doit au philosophe français René Descartes.

Barjavel poussera cette idée à son comble dans la description d'une pluie de noëlite qui tombe sur une ville. Les objets ou organes touchés par la substance sont figés, littéralement hors du temps. C'est un "moment" de terreur pour les habitants: "Toute la ville hurle. Tous les êtres vivants, atteints par-ci par-là, continuent à devenir, avec la partie de leur corps qui n'a pas été touchée, tandis qu'une autre partie s'immobilise dans le temps".



Bien sûr, il s'agit d'un récit de fiction, mais il est révélatrice d'une conception très courante de la réalité, ainsi que l'atteste l'essai du professeur Jean Bernard: "Le jour où le temps s'est arrêté", dans lequel le savant  envisage la possibilité et décrit un univers où le temps se serait arrêté. On peut noter une contradiction entre la description de la pluie de noëlite et la philosophie du post-scriptum.



En émettant l'hypothèse que l'on puisse s'extraire du temps et continuer à percevoir le monde, Barjavel illustre parfaitement les conséquences du raisonnement d'Edwin Abbott Abbott dans "Flatland", ce récit de la perception du réel par un être en deux dimensions, qui laisse entendre qu'une réalité, en l'occurrence une réalité en deux dimensions, pourrait exister hors du temps, puisque nous avons vu que le temps est l'expression d'une réalité en trois dimensions spatiales. 

Il est intéressant de se reporter ici à l'article Dimension de d'Alembert paru dans l'Encyclopédie, soit un siècle avant la parution des récits d'Abbott Abbott et de Wells, et un siècle et demi avant celui de Barjavel: "J'ai dit qu'il n'est pas possible de concevoir plus de trois dimensions. Un homme d'esprit de ma connaissance croit qu'on pourrait cependant regarder la durée comme une quatrième dimension et que le produit du temps par la solidité serait en quelque manière un produit de quatre dimensions. Cette idée peut être contestée, mais elle a, il me semble, quelque mérite, quand ce ne serait que celui de la nouveauté". Une idée alors révolutionnaire mais très troublante, même si elle repose sur une conception du temps et de la réalité qui est complètement dépassée par les derniers développements de la physique, et en particulier de la physique quantique, et par les nouveaux raisonnements logiques qui montrent que le temps est "constitutif" du réel, et non pas une dimension indépendante qui viendrait s'ajouter aux trois dimensions de l'espace.



Gregory Benford, lui-même physicien de formation, résume parfaitement dans "Un paysage du temps", la position de la majorité des physiciens actuels à propos du temps, position que combat le chimiste et prix Nobel belge Ilya Prigogine. Benford estime que notre perception de l'écoulement du temps n'est qu'une illusion car les équations de la physique sont toutes temporellement symétriques. C'est ce qu'exprimera Einstein lui-même en disant: "Pour nous, physiciens convaincus, la différence entre passé, présent et futur n'est qu'une illusion, même si elle est tenace".

De plus, il n'y a aucun moyen de mesurer la vitesse de passage du temps, faute de pouvoir concevoir un système de coordonnées qui le permette. "Donc il ne s'écoule pas. Pour ce qui concerne cet univers, le Temps est figé", dit Benford.

C'est une traduction moderne du paradoxe du mouvement développé par Zénon d'Elée. Un des arguments de Zénon consistait à dire qu'avant d'atteindre son objectif, un projectile doit parcourir la moitié de la distance complète, et avant cela, la moitié de la moitié, et avant cela, la moitié de la moitié de la moitié de la distance, et ainsi de suite dans une régression à l'infini; autrement dit, le mouvement est impossible!

Pourtant        , c'est bien la "logique" elle-même qui nous prouve qu'une chose ne peut différer d'elle-même et être en mouvement que dans le temps. Kant déjà avait observé que le temps est le seul moyen pour une même chose d'avoir des attributs contradictoires. Ce que le physicien John Wheeler exprimera joliment: "Le temps est le moyen qu'a trouvé la nature pour que tout ne se produise pas en même temps". Enfin, par sa remarque, le personnage Markham, dans le roman de Benford, reconnaît que le temps s'écoule, puisqu'il parle d'une vitesse du temps, comme le mathématicien Henri Poincaré le reconnaissait implicitement au début du siècle en posant la question de savoir comment nous pourrions mesurer un "écoulement deux fois plus rapide du temps".

Markham dit encore: "On peut changer le passé, mais seulement si l'on n'essaie pas de susciter un paradoxe. Si l'on essaie, l'expérience reste suspendue dans cette phase intermédiaire".



Cette opposition entre deux conceptions du temps se retrouve dans les œuvres de deux philosophes majeurs du 20è siècle: Martin Heidegger et Henri Bergson.

Pour Heidegger, du moins dans son ouvrage le plus connu, précisément intitulé "Etre et temps",…

Par contre, pour Bergson, l'Etre EST temps, durée: "Le temps est pure nouveauté ou il n'est rien".



On aura compris que la thèse centrale de cette section, c'est que, non seulement le mouvement est possible, pour contredire Zénon d'Elée, mais qu'il est "indispensable" à l'être. Le temps, le mouvement est même ce qui donne l'illusion de l'être immuable.





Les caractéristiques du voyage dans le temps

----------------------------------------



"Tant qu'à faire qu'à voyager dans le temps, autant que le temps soit beau" (Raymond Devos)



Abordons maintenant la matière principale de cet essai: le "voyage dans le temps"!

Et tant qu'à faire qu'à voyager dans le temps, autant répondre aux questions cruciales suivantes: où, quand, combien de temps, comment, pourquoi voyager dans le temps. On se rendra compte que ni les savants, ni les philosophes, ni les artistes ne répondent à "toutes" ces questions; chacun se contente d'apporter un élément de réponse, bien souvent évasif. A nous de faire le tour du problème.





Citation Wells

Toutes les questions

Où, quand, combien de temps, comment, pourquoi











"Nous essayons de concentrer des salves de tachyons en visant de telle façon que..."

"Un instant. Il s'agit de viser quoi, au juste? Et où donc se trouve 1963?" ("Un paysage du temps", G.Benford)







Dans un souci de pragmatisme, Il s'agit de localiser l'époque à laquelle on veut se rendre avant de savoir comment s'y rendre.

Où aboutit-on lorsque l'on voyage dans le temps, lorsque l'on change d'époque? Libéré du temps, ne se retrouve-t-on pas prisonnier de l'espace? Où se trouvent les différentes époques? Où persistent-elles? Comment peuvent-elles durer sans être en mouvement? Peut-il exister une tension, celle qui anime chaque forme d'être à chaque instant, qui ne soit pas prise dans le flux du temps?



Ecoutons le témoignage du Wells d'Alexander: "Ce que j'ai découvert, c'est que passé et avenir existent tous deux en permanence dans notre univers, mais que notre conscience ne perçoit que le "maintenant" - peut-être parce qu'elle est conditionnée par l'impérieux besoin d'ordre de la nature. Les sphères - ou plans - temporels sont adjacents à celui dans lequel nous nous trouvons et fonctionnent selon les lois de Gauss. Autrement dit, notre dimension temporelle est tout simplement un champ magnétique. Un tourbillon, si vous préférez. Mon idée a été de construire une machine capable de juxtaposer les champs d'énergie, créant une friction. Il en résulte un crescendo de réactions en chaîne qui hissent la machine, ou, littéralement, la font tourner sur elle-même de plus en plus vite, l'arrachant à une sphère temporelle pour la faire passer dans une autre. L'accélération maintient la machine et son occupant au-dessus de toutes les sphères temporelles, à l'état de vapeur. On peut ainsi gagner à volonté le passé ou l'avenir".

"Quand la rotation se fait vers l'ouest, on gagne des hiers. Quand elle se fait vers l'est, des lendemains".

"De petits hublots étaient encastrés tout autour pour permettre au voyageur de distinguer les événements historiques au beau milieu desquels il risquait d'atterrir. Mais, bien sûr, au rythme de deux années par minute, qui était sa vitesse de croisière, le "paysage" qu'apercevait le voyageur ne devait être qu'un vague brouillard de particules colorées...".

Siège et commandes gyroscopiques. Le voyage est invisible.

Lorsqu'ils font un bond de quelques jours dans le futur, Wells et Amy découvrent dans un journal qu'Amy sera assassinée par Stephenson.

"Amy, tu ne vas pas mourir. Le libre arbitre existe. Et j'ai déjà modifié l'avenir une fois en venant ici à bord de ma machine et en te rencontrant". Malgré cette belle promesse, Wells ne modifiera pas le cours des événements, et si Amy survit, c'est parce que Stephenson a en réalité tué une amie d'Amy venue lui rendre visite, et si bien charcutée par son bourreau chirurgien qu'elle était méconnaissable au point d'être confondue avec Amy. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir développé des arguments puissants: "L'ensemble de sa méthode reposait sur une conception fondamentale de la quatrième dimension comme une juxtaposition géométrique des différentes sphères temporelles. Le temps était permanent, dans l'univers; les événements ne cessaient de se reproduire encore et toujours, tout comme les atomes et les électrons ne cessaient jamais leur danse tourbillonnante. (S'il en allait autrement, si les événements avaient été temporaires -et non temporels - le voyage à travers le temps, vers l'avenir ou le passé, eût été absurde puisque le temps n'existant pas, on aurait voyagé dans rien.) Puisque le temps et les événements étaient permanents, comme les causes et les effets, Amy et lui étaient déjà morts, quelque part dans l'univers. Ce qu'ils avaient découvert dans l'avenir n'était qu'un vieil événement qui s'était déjà produit une infinité de fois... En empêchant Stephenson de commettre un meurtre, ils allaient jeter un caillou dans cette mythique mer de la tranquillité. Les ondes de surface parcourraient l'univers entier, modifiant tout sur leur chemin. Quand elles atteindraient aux rives de l'éternité, ces mêmes ondes seraient devenues un raz de marée qui emporterait à tout jamais les murailles de la prédestination. L'homme régnerait en maître suprême".



L'auteur américain Karl Alexander a écrit un récit qui se veut la suite de l'ouvrage de Wells. Il s'agit du roman "C'était demain", paru en 1979. C'est un récit très intéressant par bien des aspects. D'abord, il a le mérite d'exploiter la potentialité laissée par Wells en ne nommant pas son héros et en laissant entendre qu'il pourrait s'agir de lui-même: Wells est le héros du récit d'Alexander. L'autre grande idée est d'avoir organisé une poursuite à travers le temps entre Wells et le célèbre Jack l'Eventreur. Idée géniale car ce sinistre individu n'a jamais été identifié et bénéficie donc d'une aura de mystère qui profite au récit d'Alexander.

Mais ce qui nous plait le plus dans ce roman, c'est l'humour qui s'en dégage, les quiproquos et les malentendus qui naissent des anachronismes. Le fait est assez rare dans ce type de récits pour mériter d'être souligné. Ainsi la jeune femme que séduit Wells en 1979 va de surprise en surprise, ne sachant trop si son amant est réellement naïf ou il s'il joue les innocents pour la charmer. Lorsque des vaisseaux spatiaux apparaissent sur l'écran de cinéma où l'a entraîné Amy et où l'on joue "La guerre des mondes", Wells se cache derrière le siège de son voisin d'en face, ce qu'Amy considère comme une attitude puérile. Wells est bien sûr émerveillé par des objets comme le téléphone, le réfrigérateur... Mais le clou du récit réside dans la découverte d'un monde sexuellement libéré, ce qui d'abord désarçonne le pourtant très progressiste inventeur. Mais il goûtera vite aux délices des amours modernes.



Alice



Lorsque Wells veut prouver à Amy que sa machine fonctionne: "Bon Dieu, soupira-t-elle, j'ai bien cru un instant que j'allais être la première vraie Alice au Pays des Merveilles".

Enfin, l'auteur développe toute une série d'indications techniques très intéressantes sur le déplacement dans le temps et sur ses conséquences. Nous y reviendrons dans la dernière section de cet essai.

Notons que la conception d'un temps immobile d'Alexander, sphères fixes, s'oppose à celle de son modèle, H.G. Wells, pour qui le temps est mouvement. Mais il est vrai qu'H.G. Wells lui-même se contredit puisque la possibilité du voyage dans le temps est incompatible avec la définition du temps comme mouvement. Au fond, H.G. Wells a eu deux coups de génie contradictoires qui sont peut-être le meilleur reflet de la nature du temps qui les a engendrés.



Dans "Timemaster", un film de… une fois franchie la porte temporelle, Jesse, le jeune héros, flotte au milieu de bulles gigantesques qui contiennent et représentent chacune un événement de l'histoire de l'humanité, et même de la préhistoire puisqu'il croise un tyrannosaure. C'est le grand mérite de ce film de donner sa réponse à la question: Où se trouvent donc les différents instants du temps passé et futur. Mais comme le fait remarquer le mentor de Jesse, "voyager d'une faille temporelle à l'autre, c'est voyager dans un labyrinthe. On ne va pas toujours où on veut".

"En modifiant un petit événement, on change tout le sens de l'histoire".

Avec Jacques Van Herp, on peut se demander si le voyage dans le temps ne risque pas de déboucher sur le vide à cause du mouvement des astres.

Le mathématicien Rudy Rucker envisage le cas de figure inverse: "D'une manière ou d'une autre, le voyage dans le temps doit se faire en se déplaçant en dehors de l'espace-temps, dans une dimension supérieure, et mieux vaut le faire en mouvement, en se déplaçant légèrement avant et après le saut, pour éviter de "sauter dans un endroit occupé par notre propre passé", ce qui "pourrait bien provoquer une explosion assez déplaisante ".



Science fiction



Quand

----



"Envoyez-moi n'importe où"

"L'expression correcte est n'importe quand...". ("Les déserteurs temporels", R.Silverberg)



Si le voyage dans le temps prend un temps différent pour chaque époque différente, ces époques peuvent toutes se trouver au même endroit à des moments différents.

Si la distance temporelle entre les époques correspond à celle du calendrier, le voyageur du temps doit subir la cryogénisation pour voyâger au-delà de son temps d'existence; mais au bout du compte, c'est comme si le voyâge était instantané, puisque le voyâgeur peut revenir exactement au moment de son départ.

Si le voyâge prend le même temps pour chaque époque, les époques se trouvent toutes en même temps, simultanées, contemporaines dans un hyperespace, un méta-univers. Mais cela signifie que nous sommes nous-mêmes dans l'hyperespace, que notre univers est dans un hyperespace plus vaste.

Si le voyâgeur y a accès, c'est qu'il existe une liaison entre son époque et toutes les autres.

Le point de vue de l'hyperespace, c'est celui de l'Eternité chez Asimov.

Mais cela ne nous donne pas un point de REPERE précis qui nous permette de nous orienter. En admettant que nous disposions du MOYEN d'accéder à une époque du passé ou du futur, un trou de ver ou une technique de dématérialisation, il nous faut encore définir l'IDENTITE des différents instants.





Comment voyager dans le temps?

--------------------------



Science

---



De manière assez étrange, les hommes de science semblent savoir "comment" se rendre à une destination qu'il n'ont pas déterminée. Alors qu'ils ne savent pas précisément "où" et "quand" se situent les époques du passé et du futur à investir, ils décrivent des moyens sophistiqués pour y parvenir.





Hyperespace, raccourcis de l'espace-temps, trous de ver, trous

------------ noirs, fontaines blanches --------------

----------------------



La plupart des tentatives d'élaboration de "réels" moyens de voyager dans le temps reposent sur la théorie de la relativité d'Einstein. Mais elles s'appuient aussi et surtout sur la "représentation graphique", géométrique, des équations du grand savant allemand naturalisé suisse, à savoir la géométrie de l'espace-temps de Minkowski. Ces diagrammes permettent de se représenter aisément en quoi consisterait un déplacement dans le temps. C'est parce qu'auparavant, ils ont permis de se représenter clairement en quoi consiste un déplacement dans l'espace et l'hyperespace.



L'hyperespace est un univers à quatre dimensions spatiales et une dimension temporelle, soit une dimension spatiale de plus que notre espace-temps quadridimensionnel.

C'est dans cet hyperespace, soit un espace-temps à cinq dimensions, que peut s'effectuer le fameux retournement complet d'une sphère.





Minkowski

-----



Les travaux d'Hermann Minkowski constituent donc une étape importante dans notre recherche. Ce grand mathématicien fut le professeur d'Einstein. Le manque d'enthousiasme de son élève l'irritait tant qu'il surnomma Einstein "le chien paresseux". L'ironie veut que ce soit en grande partie à ce "chien paresseux" que Minkowski doit sa renommée universelle.

Minkowski a apporté une représentation géométrique aux équations d'Einstein. C'est lui qui a développé la notion d'espace-temps et la géométrie de l'espace-temps qui la décrit - on parle d'ailleurs de géométrie de l'espace-temps de Minkowski -, montrant que temps et espace formaient un "continuum" et étaient par conséquent indissociables. Tout événement doit être situé par trois coordonnées d'espace et une coordonnée de temps. De cette façon, on visualise clairement les conséquences du caractère absolu de la vitesse de la lumière. Il faut se rappeler que si Einstein a rendu relatives les notions de temps et d'espace, c'est parce que s'était révélé un nouvel absolu: la vitesse de la lumière. En effet, à la fin du 19è siècle, les expérimentateurs Michelson et Morley avaient observé que la vitesse de la lumière était identique quel que soit la vitesse du référentiel dans lequel on la mesure. Einstein tirera toutes les conséquences de cette observation en établissant que rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière. Les graphes de Minkowski représentent l'espace parcouru par la lumière à chaque instant "t" arbitrairement petit. Comme on peut le voir sur la figure 1 du cahier central, la distance que peut parcourir la lumière au bout de quelques secondes forme un entonnoir ouvert vers le haut pour le futur et vers le bas pour le passé. C'est très simple à comprendre. En 3", la lumière a pu parcourir 900000km vers la gauche et 900000km vers la droite - en trois dimensions, ce sera en plus vers l'avant et l'arrière et vers le haut et le bas. Plus le temps passe, plus grande est la distance qu'elle parcourt ou qu'elle peut parcourir. Donc l'entonnoir s'élargit de plus en plus avec le temps.

Dans le passé, il y a 3", la lumière pouvait avoir parcouru 900000km dans chacune des directions. Mais il y a 2", elle ne pouvait avoir parcouru que 600000km dans chacune des directions, et il y a 1", 300000km. Plus on se rapproche de l'instant présent, moins la lumière a pu parcourir d'espace, donc plus l'entonnoir se rétrécit. Mais si on recule plus loin dans le passé, plus elle peut avoir parcouru d'espace et plus l'entonnoir s'élargit.

Un objet ne pouvant se déplacer plus vite que la lumière, il ne pourra évoluer que dans les limites de l'entonnoir. Ce qui est en dehors de l'entonnoir lui est inaccessible. La ligne qui représente le parcours d'un objet est appelée ligne d'univers. Et c'est une ligne d'univers du genre temps. Pourquoi? Parce que le temps s'écoule toujours pour un tel objet. Lorsque sa vitesse augmente, son temps propre se ralentit. Lorsqu'il voyage à la vitesse de la lumière, son temps propre s'arrête et sa ligne d'univers est alors une ligne du genre lumière. La ligne d'univers d'une particule qui voyagerait plus vite que la lumière serait une ligne d'univers du genre espace. Nous verrons que des physiciens ont émis l'hypothèse de la possibilité d'existence de telles particules, qu'ils ont appelées "tachyons", même si les équations d'Einstein interdisent leur existence.



L'entonnoir, ou "cône de lumière", représente toute la surface ou l'espace parcourable par un objet ou une personne. Bien entendu, un objet ne se trouve qu'à un endroit à la fois à chaque instant. Son parcours dans le temps est donc représenté par une ligne plus ou moins droite - ou courbée, c'est selon - selon sa vitesse de déplacement.



Il faut bien se rendre compte que toute forme d'être matérielle voyageant à une vitesse très petite par rapport à celle de la lumière, toutes ces entités font partie du même cône de lumière.



L'univers en rotation de Kurt Gödel

-------------------------------



Kurt Gödel est un mathématicien et un logicien contemporain d'Einstein, avec lequel il a d'ailleurs collaboré. Il est célèbre pour avoir démontré que tout système formel contenait des propositions indémontrables par le système en question.

Par ailleurs, intrigué par la théorie d'Einstein, Gödel a constaté que si l'univers est en rotation, mais pas en expansion, les cônes de lumière peuvent être inclinés de telle façon que l'on puisse voyager de cône en cône tout autour de l'univers, jusqu'à l'événement de départ. Autrement dit, on peut revenir au même endroit et au même moment d'où l'on est parti, et ceci sans jamais voyager plus vite que la lumière.

L'intéressante idée de départ de Gödel, c'est que la tendance naturelle de la force de gravitation à rassembler la matière et à la faire se détruire, pourrait être compensée par une force centrifuge provoquée par la rotation de l'univers dans son ensemble. Autrement dit, la force d'attraction gravitationnelle serait compensée par une force de répulsion centrifuge.



Tout comme chaque observateur de l'expansion de l'univers croit être au centre d'expansion de l'univers, il croit être au centre de "rotation" de l'univers.

Selon Gödel, l'espace-temps est entraîné dans la rotation de l'univers.

Prenons trois points dans l'espace de façon que les cônes de lumière qui y sont associés soient assez éloignés l'un de l'autre pour que, pendant un certain laps de temps, les trois points ne puissent rien savoir les uns des autres et a fortiori pour n'exercer aucune influence l'un sur l'autre, car l'information qu'ils se communiqueraient devrait alors traverser la partie espace et donc voyager plus vite que la lumière. Bien sûr, à un certain moment du futur, chacun des points recevra des informations de chacun des deux autres car des parties de leurs cônes se recouvriront; mais cela n'autorisera en aucune façon une quelconque influence en retour sur le passé, qui sera révolu.

Mais s'il existe une rotation assez rapide de l'univers, les cônes peuvent être si inclinés qu'ils en viennent à se chevaucher, et un point A peut aller en B ou en C sans quitter son futur, c'est-à-dire en gardant une ligne d'univers du genre temps, - autrement dit encore, sans que sa ligne du genre temps ne devienne une ligne du genre espace - soit sans devoir aller plus vite que la lumière. Si on conçoit que des cônes se succèdent tout autour de l'univers, on peut imaginer que le voyageur A reviendra à l'endroit et à l'instant de son départ après avoir fait un tour d'univers qui aura peut-être pris des millénaires d'après les horloges emportées dans le vaisseau spatial. Aujourd'hui, ce n'est pas des millénaires mais environ cent billions d'années que prendrait un tel voyage. Malheureusement, tout porte à croire que l'univers dans son ensemble n'est pas en rotation. L'hypothèse de Gödel en reste au stade de la belle construction théorique.





Le cylindre en rotation de Franck Tipler

------------------------------------



En 1937, le physicien W.T.V. Stockum propose une solution au problème du déplacement dans le temps dans laquelle un cylindre infiniment long en rotation rapide fonctionne comme une machine à remonter le temps. Mais même s'il semble que rien n'est infiniment long dans la nature - quoique Gott en 1991 émet l'hypothèse de cordes infiniment longues -, on n'a pas prouvé qu'un cylindre de dimension finie ne pourrait pas faire l'affaire.



De fait, en 1973, le physicien américain Frank Tipler proposa, dans son article "Cylindres en rotation et possibilité d'une violation globale de la  causalité", une théorie qui n'exigeait plus la rotation de tout l'univers ni un cylindre infiniment long pour pouvoir créer une machine à se déplacer dans le temps. Le travail de Tipler présente le grand mérite de pouvoir servir de base sérieuse à toute réflexion future sur la possibilité de voyager dans le temps. Tipler balise en trois étapes la route qui mène à l'expression mathématique de la "machine à voyager dans le temps".

D'abord, il se demande si les équations autorisent, en théorie, des voyages dans l'espace-temps, dans lesquels le voyageur retourne à son point de départ à la fois dans l'espace et dans le temps, une partie du voyage ayant été effectuée en arrière dans le temps. La réponse est oui, comme l'a prouvé par ailleurs Gödel, et comme le prouveront d'autres physiciens comme Brandon Carter et Kip Thorne.

Ensuite, Tipler se demande si les conditions sous lesquelles on voyage dans une boucle du genre temps peuvent apparaître de manière naturelle dans l'univers. La réponse est encore oui.

Enfin, Tipler se demande si de telles conditions peuvent être réalisées "artificiellement"; à savoir s'il est possible de "construire" une machine à voyager dans le temps. La réponse est toujours oui.

Venons-en au développement des arguments de Tipler. Les points importants de sa théorie sont la rotation du cylindre et le fait que cette rotation soit à l'origine d'une singularité nue. De quoi s'agit-il? La rotation du cylindre est directement compréhensible. Par contre, la notion de "singularité nue" nécessite quelques explications. Une singularité est le point vers lequel converge tout ce qui tombe dans un Trou Noir. Aucune forme d'être ne peut résister aux forces qui sont en jeu dans la singularité. Le seul espoir de pouvoir exploiter un Trou Noir pour voyager dans le temps, c'est d'en trouver ou d'en fabriquer un dont la singularité est nue, c'est-à-dire sur laquelle la matière ne s'effondrera pas.



On peut rencontrer de telles possibilités dans la nature, soit à travers l'explosion d'un trou noir, soit quand un agrégat de matière non-sphérique s'effondre sur lui-même sous l'effet de la gravitation.

Lorsqu'une singularité nue massive et en rotation rapide est prise dans un champ gravitationnel intense, les cônes de lumière qui en sont proches sont fort inclinés. Un observateur pris dans ce champ ne verra pas de modification des lois de la physique, mais un observateur éloigné oui. Lorsqu'il est incliné à plus de 45°, une partie du futur du cône se trouve dans le passé. On peut s'en rendre compte sur la figure... du cahier central.  Pour un observateur extérieur, le voyageur du temps, qui peut évoluer n'importe où dans la partie "futur" de son cône, se trouve partout à la fois autour de l'orbite de la singularité nue. Le voyâgeur peut aussi descendre de plus en plus bas en spirale, dans le passé, en repassant toujours au même endroit, le long de l'axe du temps. Tout cela est bien beau, mais en réalité, on ne fait ici qu'analyser un graphe, donc les équations, dans lesquels est pris en compte "-t", donnant l'impression que le passé existe en même temps que le présent. Or, dans la réalité, le passé n'existe pas.

Mais en dehors du fait de savoir si la machine du temps existe à l'état naturel ou si elle peut être réalisée de manière artificielle, il faut bien se rendre compte qu'on ne peut remonter indéfiniment dans le passé dans ce type de machine. Seulement dans un passé qui correspond au moment de création de la machine. Par contre, tout le futur est ouvert à l'exploration, ce qui n'est déjà pas si mal et crée la situation surprenante que le futur semble être plus accessible que le passé. Pour remonter loin dans le passé, il faudrait découvrir une machine à "voyager" naturelle qui existait déjà, par exemple, au temps du Christ, des pyramides ou des dinosaures, ou même aux premiers temps de l'univers, ce que croient possible certains spécialistes de la physique quantique.

Les optimistes disent que si on n'a pas encore reçu la visite de voyageurs du temps, c'est parce qu'on n'a pas encore découvert de machine naturelle ou artificielle - artificielle, ça on le sait -, et non pas parce que le voyage dans le temps est impossible - contrairement à ce que pensait Stephen Hawking dans un premier temps.

Donc, ce dont nous avons besoin, c'est d'un cylindre massif et compact en rotation rapide. C'est la condition indispensable pour créer une singularité nue, c'est-à-dire sur laquelle ne s'effondre pas la matière qu'elle attire. Il faut que le cylindre ait 100km de long et entre 10 et 20 km de diamètre, avec une masse au moins équivalente à celle du soleil, avec une densité d'une étoile à neutrons, et il faut que ce cylindre tourne sur lui-même deux fois chaque milliseconde, soit seulement trois fois plus vite que le pulsar milliseconde, c'est-à-dire à la moitié de la vitesse de la lumière. Le pulsar, ou étoile à neutrons, est l'objet le plus dense, le plus massif, le plus compact connu. Certains tournent très rapidement.

Il existe ainsi des pulsars "milliseconde" - en fait, ils effectuent un tour toutes les 1,5 milliseconde.  Mais la machine à voyager dans le temps n'est pas encore complète. Il reste encore à joindre plusieurs étoiles à neutrons pôle à pôle pour obtenir la machine de Tipler. Mais les difficultés qu'implique une telle réalisation sont innombrables, peut-être insurmontables en pratique: il faut trouver dix étoiles à neutrons; la force centrifuge développée serait si forte qu'elle disloquerait le cylindre dans sa largeur, tandis qu'il tendrait à s'effondrer sur lui-même dans sa longueur. Enfin, le champ gravitationnel de plusieurs étoiles serait si fort qu'elles s'effondreraient en un trou noir, à moins qu'un champ d'énergie plus fort que tout ce qui est connu actuellement ne maintienne les cylindres rigides. Les cordes cosmiques sembleraient tenir la corde pour maintenir les cylindres rigides et arrêter leur effondrement, et constitueraient la matière idéale pour garder ouverte assez longtemps l'entrée d'un trou de ver.



Arrêtons-nous un instant pour effectuer une petite réflexion critique autour de la nature du formalisme mathématique.

Le cône incliné est la représentation sur les graphes de la variable "-t" des équations. Les équations, et les graphes - qui ne sont que leur expression géométrique -, n'interdisent pas de manipuler "-t", c'est même ce qui fait leur intérêt, mais la représentation ne prend pas pour autant un sens réel, pas plus que la possibilité d'association des lettres BBCFBAT ne donne du sens à cette association, quoiqu'elle soit permise. De même que la possibilité de parler des fantômes ne leur confère pas l'existence.

Ce que nous voulons dire, c'est que ce n'est pas parce que le langage, mathématique en l'occurrence, permet de manipuler et de représenter le passé, que ce passé existe réellement. C'est bien pour cela que la constante que représente la vitesse de la lumière est considérée comme une limite absolue, en fonction du formalisme en usage.





Le Pont d'Einstein-Rosen

--------------------





Avant d'aborder d'autres théories de voyage dans le temps , il faut évoquer les propositions de tentatives de déplacement dans l'espace à travers des raccourcis, soit le passage dans un "Hyperespace", constitué d'une quatrième dimension spatiale.



En 1936, Einstein et son collaborateur Nathan Rosen ont imaginé un raccourci dans l'espace-temps, appelé "pont d'Einstein-Rosen", pour relier deux points très éloignés dans l'univers par une incursion dans une quatrième dimension spatiale. Dans les années cinquante, le physicien John Archibald Wheeler leur donnera le nom de "Trous de Ver". Comme les Trous Noirs,  les trous de ver apparaissent dans des régions de l'univers où l'espace-temps est très courbé. Ces Trous de Ver constituent l'hyperespace, la quatrième dimension, l'au-delà, l'univers parallèle dans lequel se déplacerait celui qui voyage à une vitesse supérieure à celle de la lumière et le voyageur du temps. On peut voir sur la figure... du cahier central la représentation d'un Trou de Ver.

Aujourd'hui, des physiciens quantiques - étrange entité à vrai dire - émettent l'hypothèse que des Trous de Ver apparaîtraient et disparaîtraient en permanence au niveau subatomique, dans ce que l'on appelle le "vide quantique", où surgissent des topologies, c'est-à-dire des structures de l'espace-temps, différentes de celles de notre espace-temps. Malheureusement, ces Trous de Ver microscopiques n'ont qu'une durée de vie de l'ordre du temps de Planck, c'est-à-dire extrêmement courte, et ne laissent passer des particules que de l'ordre de la longueur de Planck, c'est-à-dire extrêmement petites. Mais nous verrons que le physicien américain Kip Thorne a tenté de résoudre ce problème.



Ouvrons une parenthèse pour montrer qu'H.G. Wells avait le don d'anticiper de profondes découvertes théoriques. Dans "Un étrange phénomène", il écrit: "D'explication, il n'en est pas de probable, sinon celle qu'a émise le professeur Wade. Mais elle implique une quatrième dimension et une théorie aventurée sur les diverses sortes d'espaces. Dire qu'il y a eu un nœud dans l'espace me semble parfaitement absurde, mais peut-être est-ce parce que je ne suis pas mathématicien. Quand j'objectai que rien ne changerait ce fait, que les deux endroits sont séparés l'un de l'autre par une distance de plus de 10000 kilomètres, il me répondit que deux points peuvent être distants d'un mètre sur une feuille de papier et cependant qu'on peut les rapprocher en pliant simplement le papier". Wells connaissait-il les géométries non-euclidiennes?





Les "BGT"

-----



Revenons à nos moutons spatio-temporels.

Dans le cadre de la théorie de la relativité, la machine à voyager dans le temps consiste en une "Boucle du Genre Temps", une "BGT". C'est une région de l'espace-temps tellement courbée qu'elle se replie sur elle-même. La question est: comment obtenir cette boucle? Nous avons vu que la solution proposée par Gödel n'est pas réaliste et que celle de Tipler ne l'est pas beaucoup plus. La notion de "Trou Noir" va peut-être nous aider à nous tirer d'embarras car le Trou Noir, sous certaines conditions, peut lui aussi constituer un raccourci dans l'espace-temps.



Le terme "Trou Noir" n'a été proposé qu'en 1967 par John A. Wheeler, spécialiste de la relativité, mais le concept précède l'élaboration de la théorie de la relativité.

En effet, l'anglais John Michell en 1783 et le français Pierre Simon de Laplace en 1796, firent l'hypothèse de l'existence de corps si massifs que la lumière ne pourrait s'en échapper. Leur raisonnement était à la fois simple et génial: il combinait le caractère fini de la vitesse de la lumière et le fait qu'il faille acquérir une vitesse suffisamment grande pour échapper à l'attraction gravitationnelle d'un corps, ce qu'on appelle la "vitesse de libération"  - que calculent les ingénieurs pour permettre aux sondes spatiales de quitter l'atmosphère terrestre. Si le corps est suffisamment massif, la lumière ne pourra s'en échapper.

Les équations d'Einstein permettront de remettre au goût du jour cette idée et d'en affiner les contours. C'est ainsi que Karl Schwarzschild montra en 1915, qu'à une distance critique du centre d'une sphère très massive, ce qu'on appelle le rayon de Schwarzschild, le temps et l'espace perdent leur signification. En 1939, Robert Oppenheimer - qui dirigera l'équipe scientifique qui mettra au point la première bombe atomique, dans le projet Manhattan - et Nathan Snyder montrent qu'une étoile si dense que son rayon serait inférieur à celui de Schwarzschild s'effondrerait sur elle-même, formant un corps invisible à l'observation: un Trou Noir! En l'occurrence, il s'agit d'un Trou Noir statique vers la singularité - la singularité est le point vers lequel converge tout ce qui tombe dans le Trou Noir - duquel converge toute matière qui traverse son horizon des événements; seul cet horizon des événements, cette frontière, peut-être observé de l'extérieur. Mais un Trou Noir statique ne possède pas de Boucle du Genre Temps.



Comment donc en faire une machine à se déplacer dans le temps? D'abord en se servant du Trou Noir pour créer un raccourci de l'espace-temps. C'est ici qu'il faut rappeler que le temps des équations est réversible. Si au temps positif correspond un Trou Noir, au temps négatif doit correspondre l'inverse du Trou Noir: un Trou Blanc - troublant! -, ou plutôt une "Fontaine Blanche". En effet, alors que toute matière est engloutie par le Trou Noir, la Fontaine Blanche rejette la matière. Il s'agit alors de coller un Trou Noir à une Fontaine Blanche dans notre univers pour créer un "Trou de Ver", autrement dit un pont spatio-temporel. Mais ce n'est que la première étape dans l'élaboration de notre machine à voyager dans le temps, car le Trou de Ver constitue un raccourci spatial, pas encore un raccourci temporel.

La deuxième étape consiste à remorquer l'entrée du Trou de Ver pour créer un décalage temporel avec la sortie. Place à Kip Thorne et au Consortium.





Kip Thorne et le Consortium

-----------------------



On ne peut parler de l'apport de Kip Thorne dans la réflexion sur la possibilité de se déplacer dans le temps sans parler du "Consortium".



Le Consortium est constitué de sept chercheurs répartis sur deux continents et qui réfléchissent à la façon de concevoir une machine à voyager dans le temps. Les deux plus connus d'entre eux sont le physicien américain Kip Thorne et le physicien russe Igor Novikov. Suite à la demande de l'écrivain Carl Sagan à Kip Thorne de lui proposer un moyen scientifiquement valable de voyager dans l'espace à travers un raccourci de l'espace-temps, Thorne et Novikov se rendent compte que, sous certaines conditions, ce raccourci peut constituer une "Boucle du Genre Temps", autrement dit une machine à voyager dans le temps.

La solution proposée par Kip Thorne et ses étudiants Michael Morris et Ulvi Yurtsever consiste à laisser fixe l'extrémité fontaine blanche du collage "trou noir-fontaine blanche" que nous avons évoqué plus haut, et à éloigner ou à faire zigzaguer l'extrémité trou noir à une vitesse juste inférieure à celle de la lumière.



La théorie de la relativité nous a appris que le temps propre d'un objet qui voyage à une vitesse proche de celle de la lumière est ralenti. Par conséquent, l'extrémité Trou Noir en mouvement verra sont temps propre ralentir par rapport à celui de l'extrémité Fontaine Blanche: "L'écoulement du temps ne doit donc pas être le même pour les deux bouches. D'un autre côté, vues de l'intérieur du trou, elles sont au repos l'une par rapport à l'autre, ce qui veut dire que l'écoulement du temps doit être le même pour les deux bouches", dit Thorne.

Nous avons donc deux bouches d'un Trou de Ver, l'une fixe, l'autre en mouvement dans l'espace à une vitesse proche de celle de la lumière. La longueur du tunnel à travers l'hyperespace, c'est-à-dire le pont qui relie les deux bouches, a une longueur constante de 30cm.



Représentons-nous ce que cela signifie à travers l'aventure imaginée par Kip Thorne lui-même.

Le 1/01/2000 à 9 heures du matin, le vaisseau de la famille Thorne part dans l'espace avec, à son bord, Carolee, la femme de Kip Thorne, et une des bouches du Trou de Ver. Pendant tout le voyage, Thorne tient la main de sa femme à travers le Trou de Ver, qui, rappelons-le, ne mesure que 30cm, et regarde, par le Trou de Ver, sa propre main et sa tête passer à travers l'autre bouche, statique, du Trou de Ver. Bientôt, il voit, à travers ce trou, sa femme de retour dans le jardin ce 1/01/2000 à 21 heure, soit après 12 heures de voyage d'après la montre de Carolee.

Pourtant, à 21h01', lorsqu'il sort la tête du trou et regarde par la fenêtre, il Kip Thorne découvre une pelouse vide. Mais avec un télescope assez puissant, il voit dans le ciel le vaisseau de son épouse au tout début de son voyage, qui va durer dix ans selon sa montre à lui. Et effectivement, le 1/01/2010, le vaisseau atterrit dans le jardin des Thorne avec une Carolee seulement plus vieille de 12h, alors que Kip a vieilli de 10 ans. "C'est le "paradoxe des jumeaux" bien connu: pour le "jumeau" ultrarapide qui s'en va puis revient [Carolee], le voyage ne dure que 12 heures, tandis que celui qui reste sur terre [moi] doit attendre 10 ans le retour de son "jumeau"", rappelle Thorne.



Que voit sa femme Carolee? Pendant le voyage, elle tient la main de son mari et voit sa tête en 2000. De même, Thorne se voit dix ans plus jeune. S'il glisse dans la bouche du vaisseau, il émerge par l'autre bouche le 1/01/2000 à 21h. De la même façon, si le "jeune moi-même traverse le trou de ver le 1/01/2000, il émergera de l'autre bouche le 1/01/2010. Passer dans une direction par le trou de ver me ramène dix ans en arrière, passer dans l'autre direction m'expédie dix ans en avant". Mais n'oublions pas qu'il est impossible de remonter le temps avant le 1/01/2000 à 9h, soit avant le moment où le Trou de Ver est devenu une machine temporelle, une Boucle du Genre Temps. 



Un problème important dans la réalisation d'une Boucle du Genre Temps consiste à maintenir le Trou Noir ouvert assez longtemps pour permettre au voyageur d'y plonger et de traverser le pont jusqu'à la Fontaine Blanche. Tout ce qui est nécessaire, selon Thorne, c'est un champ gravitationnel fort, soit un corps suffisamment massif, par exemple une planète, qui évoluerait à proximité de la bouche du Trou Noir et l'entraînerait dans sa course par attraction gravitationnelle, comme un âne suit la carotte qu'on lui met sous le nez. Une autre façon de procéder serait d'ajouter à la bouche du Trou Noir une quantité suffisante de charge électrique et de l'entraîner à l'aide d'un champ électrique. Mais ce n'est pas tout. Nous avons vu que la théorie de Tipler nécessitait l'existence de matière exotique. C'est une possibilité qu'envisage aussi Thorne pour maintenir ouverte la bouche du Trou de Ver.

Cette matière exotique est de l'énergie négative; elle permettrait d'annuler l'énergie positive qui pousse la bouche  à se refermer sur elle-même, pour aboutir à un état stable où l'énergie globale est nulle. Il est important de préciser qu'il s'agit ici de matière négative et non d'antimatière. En effet, la composition "matière + antimatière" provoquerait une explosion et un dégagement d'énergie considérable, ce qui aurait des conséquences fâcheuses pour le voyageur du temps, tandis que l'association matière positive-matière négative est sans danger pour lui.



Il reste, après avoir entraîné une des bouches du trou de ver à une vitesse proche de celle de la lumière, à la ramener à proximité de l'autre bouche, qui est restée statique. Peu importe qu'il s'agisse d'un voyage lointain ou circulaire, pourvu qu'une différence de temps suffisante soit marquée entre les horloges des deux référentiels. La bouche mobile - à nouveau fixe -, est plus jeune que la bouche statique.



Enfin, ce qui préoccupe Thorne et le Consortium, et c'est ce qui les démarque des physiciens qui les ont précédés dans ce type de réflexion, ce n'est pas seulement l'aspect pratique lié à la réalisation d'une machine à voyager dans le temps. Ils ont aussi le souci d'établir un ensemble logique d'équations qui préserve les bases physiques des fameux paradoxes liés au voyage dans le temps, pour éviter de violer les lois de la causalité. Nous développerons et analyserons leurs arguments dans la dernière section de cet essai.







FICTION

_____





Nous avons passé en revue les propositions de réalisation de machines à voyager dans le temps par les hommes de science.

Au tour des romanciers et des réalisateurs de nous fournir des indications sur la façon d'atteindre des époques du passé et du futur.





La machine d'Alfred Jarry

---------------------





Dans son "Commentaire pour servir à la construction pratique de la machine à voyager dans le temps", Alfred Jarry nous offre une description très intéressante du fonctionnement d'une machine à voyager dans le temps. Alfred Jarry est l'inventeur de la "pataphysique" et il est resté célèbre pour la création d'"Ubu roi".

Jarry commence par établir un lien entre le temps et l'espace, dans une formulation très moderne; il considère que "toute partie simultanée du temps, c'est-à-dire l'espace, est étendue et par là explorable à l'aide des machines à explorer l'espace". Quant au temps, "Si nous pouvions rester immobiles dans l'Espace absolu, le long du cours du temps, c'est-à-dire nous enfermer subitement dans une Machine qui nous isole du Temps (sauf le peu de "vitesse de durée" normale dont nous resterons animés en raison de l'inertie), tous les instants futurs ou passés (nous constaterons plus loin que le Passé est par-delà le Futur, vu de la Machine) seraient explorés successivement, de même que le spectateur sédentaire d'un panorama a l'illusion d'un voyage rapide le long de paysages successifs".

Or, et c'est nous qui le soulignons, la question est justement de savoir comment éliminer ou contrôler "le peu de "vitesse de durée" normale dont nous resterons animés en raison de l'inertie cette inertie. Il n'existe pas de moyen de le faire, dans le sens où ce moyen serait pris lui-même dans le mouvement d'inertie de l'univers. On ne peut même pas envisager l'élimination totale de l'inertie d'un individu ou d'une machine par la mort ou la destruction de cet individu ou de cette machine, puisque "la quantité totale d'énergie de l'univers se conserve", "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme", et qu'il semble donc que la disparition "absolue" d'une forme d'être soit impossible.

Jarry conçoit le temps comme une boucle, plaçant, du point de vue de la machine, le futur avant le passé. Pour aller dans le futur, la machine doit accélérer; pour aller dans le passé, la machine doit accélérer plus encore - en parlant d'accélération, Jarry fait probablement allusion à la théorie de la relativité, qui avait marqué tous les esprits à son époque. C'est comme si l'explorateur du temps partait du point ultime du futur - mais à quelle vitesse - et revenait vers le passé en allant de plus en plus vite. Après avoir parcouru le futur, la machine passe par un point-mort entre futur et passé, que Jarry appelle Présent imaginaire.

De toutes les façons, le temps entier "persiste", le passé et le futur forment un panorama explorable, ce qui est peut-être une façon d'expliquer la possibilité de l'existence d'un temps en boucle, puisque tout est déjà réalisé.

"La machine mise en marche se dirige toujours vers le futur". On s'attend donc à ce qu'une accélération entraîne le voyageur du temps de plus en plus loin dans le futur, et non dans le passé.

Mais si l'on pense aux tachyons, ces particules hypothétiques qui ont une vitesse strictement supérieure à celle de la lumière, le raisonnement de Jarry ne paraît plus aussi absurde: plus vite vont les tachyons, plus rapidement le temps coule à rebours et plus loin on s'enfonce dans le passé. Le seul problème, c'est que l'hypothèse de l'existence de tachyons ne sera formulée que des années après la mort de Jarry. Cela signifie-t-il que Jarry, comme Wells, avait un don de prescience "scientifique", ou, comme Wells peut-être, qu'il a effectué un bond dans le futur avec sa machine pour y pêcher l'une ou l'autre idée révolutionnaire? Jarry est-il l'inventeur de la pataphysique, ou en a-t-il ramené l'idée d'un voyage dans le futur?





La machine de Robert Silverberg

---------------------------



De formation scientifique, Robert Silverberg est un prodige de productivité littéraire, tant dans le domaine de la vulgarisation que dans celui de la fiction.

Nous sommes en 2490 et l'inspecteur Quellen a pour mission d'arrêter celui qui organise la fuite dans le temps de citoyens déçus par leurs conditions de vie, les Déserteurs Temporels.

Dans un premier temps, Silverberg se contente d'évoquer certaines des thèses des autres auteurs: fondamentale instabilité de l'univers: "Brusquement, Kloofman fut envahi du sentiment écrasant de l'instabilité de l'univers."  "Imaginez ce qui aurait pu arriver si quelqu'un s'était ingéré dans la vie des déserteurs connus et enregistrés. Arracher des morceaux du passé... mais le monde en aurait été bouleversé!"; voyâge seulement possible dans le passé: "On ne peut aller que dans un sens, dans le temps, vous savez. En arrière. Il n'y a pas là-bas de machines pour renvoyer les gens dans le futur, et de toute façon je crois comprendre que c'est impossible. On va en arrière, on y reste pour toujours."; infraction à la loi de conservation de l'énergie: "A cet instant même, il le savait, un déserteur partait pour le passé. Une vie était soustraite du présent. Et la masse? Se conservait-elle? Les renseignements sur la masse planétaire ne tenaient aucun compte de l'éventualité d'une soustraction subite et unique. Une centaine de kilos ôtés d'un coup aujourd'hui et projetés vers hier...".

On peut relever une contradiction entre l'instabilité évoquée du cours des événements et le déterminisme de voyages dans le temps déjà inscrits dans l'histoire alors qu'ils vont seulement avoir lieu: pourquoi donc les personnages ont-ils peur de modifier ces modifications? Si c'est vraiment le pur déterminisme qui règne, il n'y a pas moyen de modifier ces modifications, et l'univers n'est pas instable.



Venons-en au point qui nous intéresse pour l'heure, le fonctionnement de la machine: "... Elle a des prolongements à la fois dans le temps et dans l'espace... le principe est simple. Une tension soudain appliquée au tissu du continuum; nous poussons le matériel du moment présent dans la poche et ramassons une charge équivalente de la masse du passé. Pour la conservation de la matière, vous comprenez. Quand nos calculs sont erronés de quelques grammes, cela cause des perturbations, des implosions, des effets météorologiques. (bref cela perturbe le temps!). Nous nous efforçons de ne pas manquer le but, mais cela arrive. Au centre de tout cela, il y a un plasma de fusion. Pas de meilleure façon de déchirer le continuum; nous utilisons à cette fin notre propre petit soleil. Nous puisons dans la force thêta. Chaque fois qu'une personne utilise le stat, cela crée un potentiel temporel que nous captons pour l'utiliser à notre tour. Mais cela reste très onéreux". Le stat est l'instrument qui permet de dématérialiser un corps ou un objet pour le déplacer instantanément dans l'espace. Silverberg semble être le seul auteur à avoir proposé une solution au problème de conservation de l'énergie.





L'Accélérateur de Code quantum

--------------------------



Donald P. Bellisario, le créateur de "Code Quantum", s'est inspiré de la série "Time tunnel" diffusée dans les années  60-70.

Code quantum est une série de la fin des années 80.

Elle propose deux façons de voyager dans le temps: matérielle et incontrôlée pour le professeur Sam Beckett et hologrammique et contrôlée pour Al, son ange gardien.



Père Brune???



Le texte de présentation de chaque épisode résume bien la situation:

"Postulant qu'on pouvait explorer le temps dans les limites de sa propre existence, le docteur Sam Beckett s'installa dans le désert avec une équipe de savants d'élite pour travailler sur un projet top secret baptisé Quantum leap. Pressé de fournir des preuves tangibles de ses théories sous peine d'en voir le financement supprimé, Sam entra prématurément dans le prototype encore expérimental de son accélérateur temporel... et disparut. Il se réveilla dans le passé, souffrant d'amnésie partielle, face à un reflet dans le miroir qui n'était pas le sien. Heureusement, il restait en contact mental avec son époque par l'intermédiaire d'Al, l'Observateur du programme, sous forme d'un hologramme que seul Sam pouvait voir et entendre. Depuis, il saute d'une identité à l'autre, réparant les erreurs du passé et espérant à chaque fois que le prochain saut sera celui qui le ramènera chez lui".





Dans "Permis de non retour", le pilote de la série, Al rappelle à Sam l'image de la ficelle. Cette ficelle représente la vie de Sam, avec sa naissance à un bout et sa mort à l'autre bout. On noue les deux bouts pour former une boucle, une boucle du temps bien sûr. Puis on mélange le tout, on obtient un enchevêtrement de dates représentant la succession des époques sans ordre chronologique. C'est ce qui explique, ou plutôt ce qui permet de se représenter la situation de Sam qui avance et recule dans le passé au gré des caprices d'un Dieu...

On pourrait objecter qu'il ne s'agit manifestement pas ici d'un voyage à volonté dans le passé et le futur, mais on peut considérer que cet objectif sera atteint tôt ou tard par ce héros aux six doctorats.



Contrairement à ce qui se passe dans Time Tunnel, Sam modifie le cours du temps puisqu'il a pour mission de corriger les erreurs des personnages dont il prend l'identité. Son ami Al pense que Dieu a pris le contrôle du programme Quantum dans ce but. Ce qui explique pourquoi, contrairement au principe de la série "Time Tunnel", Sam n'intervient quasiment jamais dans un événement historique. Les modifications apportées par Sam sont sans conséquences - ce qu'approuverait Poul Anderson mais que réfuterait Ray Bradbury! Une seule fois, Sam se glisse dans la peau d'un personnage historique, en l'occurrence Lee Harvey Oswald, le meurtrier présumé de John Fitzgerald Kennedy. Mais il ne parviendra pas à empêcher le meurtre du président américain, pas plus qu'il ne réussira à sauver son propre frère tué au Vietnam.





Les machines

--------



De la folklorique machine en nickel et ivoire d'Alfred Jarry aux trous de ver de la physique moderne, l'éventail de véhicules à explorer le temps est large.





Animé d'un sens pratique, Alfred Jarry pose trois conditions à la réalisation de la Machine à voyager dans le temps:



1) La Machine doit être d'une élasticité absolue pour "pénétrer le solide le plus dense".

2) Elle doit être soumise à la pesanteur pour rester au même endroit.

3) Elle doit être non magnétique pour échapper à toute perturbation de type magnétique.



Concrètement, la Machine se présente sous la forme suivante:

trois gyrostats en rotation rapide déterminant les trois dimensions de l'espace, forment un cube de rigidité absolue, suspendu selon une direction invariable dans l'espace absolu, dans lequel prend place l'explorateur. Un moteur fait tourner les tores. La précision de la machine va du jour aux millions de jours. La machine est "transparente aux espaces successifs du temps".



Jarry conclut son texte par un aphorisme énigmatique:

"La durée est la transformation d'une succession en une réversion. C'est-à-dire: LE DEVENIR D'UNE MEMOIRE".



Si on peut regretter que Jules Verne n'ait pas abordé le thème du déplacement dans le temps, il a tout de même un illustre homonyme qui a consacré de nombreuses pages de son impressionnante œuvre à ce sujet. Il s'agit de Henri Vernes, le père de Bob Morane, et plus particulièrement l'auteur du "Cycle du temps" qui voit Morane affronter son ennemi héréditaire, "l'Ombre Jaune", à travers différentes époques de notre passé et de notre futur.



La conception du mécanisme de la machine à voyager dans le temps imaginée par Henri Vernes est très intéressante. Plutôt que de la faire se déplacer à la vitesse de la lumière, car les corps qui se déplacent à cette vitesse "deviennent infiniment plats et cessent d'exister par rapport aux trois dimensions de l'espace. Ils deviennent donc exclusivement quadri-dimensionnels et peuvent alors évoluer, quasi-instantanément et dans tous les sens, à travers le Temps.", Vernes fait dire au professeur Hunter qu'il a acquis la certitude que, "pour pouvoir se déplacer dans le temps, il n'était pas indispensable d'atteindre une vitesse égale à celle de la lumière, mais qu'il suffisait de faire vibrer cet objet suivant les mêmes fréquences que celles de la lumière". Le seul inconvénient de l'appareil de Hunter, c'est qu'il "ne permettait pas de se déplacer dans un avenir ou un passé très rapproché. Il ne pouvait pas non plus se mouvoir dans l'espace...".

Il est très intéressant de voir Vernes aborder la question de l'accessibilité des époques. Il semble que ce soit le seul auteur qui rende sa machine capable d'aborder des époques lointaines et non des époques très rapprochées, question que nous étudierons en détail dans la dernière section de cette deuxième partie. Du moins ces restrictions concernent-elles la machine du professeur Hunter, car en ce qui concerne le Temposcaphe du Commandant Graigh, le véhicule de la "Patrouille du temps", il est "d'une précision parfaite".



La conception de la machine de Vernes est tout à fait différente de celle de Jarry puisqu'elle repose sur le principe de la transformation de la matière en ondes électromagnétiques, alors que la machine de Jarry ne peut pas être magnétique.



Mais, encore une fois, l'obstacle majeur au déplacement dans le temps, c'est la "matérialité", autrement dit le temps. On peut donc se demander comment une machine, par définition matérielle, permettrait d'échapper à la matérialité. Sans parler du problème du démarrage de la machine dans une réalité "en mouvement", le mouvement intensif du temps. Problème qui ne se rencontre pas dans la situation d'une mise en mouvement dans l'espace, le démarrage d'un véhicule s'effectuant toujours d'un point "relativement" fixe - l'avion qui décolle d'un porte-avion en mouvement fait partie du mouvement d'inertie du porte-avion; de son point de vue, c'est comme si le porte-avion était immobile.



Machine



Bob et Bobette

----------



Les aventures de Bob et Bobette contiennent probablement le plus grand échantillon des techniques imaginables pour voyager dans le temps, en tout cas dans le passé car il semble que les personnages créés par Willy Vandersteen n'aient jamais exploré le futur.

Dans "L'île d'Amphoria", nos héros se font hypnotiser par un vagabond qui les envoie par le rêve dans l'époque qu'ils désirent, dans "Le casque tartare" à la rencontre de Marco Polo, dans "Le trésor de Beersel"..., dans "Le gladiateur mystère" au temps des romains...

Le miroir brisé dans "Le roi boit", "Le castel de cognedur".

Intervention surnaturelle: Le fantôme espagnol.

Divers passages: "Le trésor de Fiskary", "Lambiorix roi des Eburons", "Margot la folle", "Les mousquetaires endiablés", "La frégate fracassante", ...

Mais comme le dit Robert Rouyet dans Le Soir, 13/08/91: "Tout compte fait, pour voyager à travers les âges, rien ne vaut un véhicule approprié et une machine à remonter le temps, c'est encore ce qu'on a inventé de plus pratique". Ainsi, Bobette est ses amis voyageront désormais dans le télétransformatic du professeur Barabas dans "Le teuf-teuf club", puis dans le télétemps du même professeur Barabas dans Wattman, Lambique baba, Le petit postillon, Le rapin de Rubens, Panique sur l'Amsterdam et nombre d'autres aventures.





Bob et Bobette ont ainsi l'occasion de parcourir toute l'histoire. Mais à aucun moment, l'auteur, Willy Vandersteen, individu à l'imagination prodigieuse, n'exploite les autres possibilités offertes par la réalité du déplacement dans le temps.









Lors du voyage du vaisseau du Scrameustache vers le passé, on voit le recul du temps à travers les révolutions inverses de la terre.







Le Tardis du Docteur Who

--------------------



Voici comment les frères Bogdanoff présentent les romans tirés de la série: " Un milliard d'admirateurs à travers le monde! Seigneur du temps, héros de l'éternité, le Docteur Who connaît aujourd'hui une fantastique popularité. Le succès inégalé de la série télévisée qui lui a donné naissance, la fascination qu'il exerce sur un immense public à travers plus de cent pays contribuent à faire de ce personnage un véritable mythe...".



Le moyen de transport dans le temps de Docteur Who est pour le moins original: il s'agit d'une cabine d'appel de secours de la police. Son nom: le TARDIS

La série compte plus de 600 épisodes de 25'. Quelques minutes  de vision suffisent pour tomber sous le charme de "Docteur Who". Une atmosphère étrange et une musique fascinante nous entraînent dans un monde féerique. "Docteur Who" est la série la plus longue de l'histoire de la télévision et certainement l'une des plus originales; sa diffusion, entamée en 1963, s'étend sur 26 ans. Le coup de force des scénaristes, outre un festival d'imagination, est d'avoir fait incarner le Docteur par sept acteurs différents tout au long de la série. Lorsqu'un acteur en avait assez de jouer ce personnage, le Docteur subissait un changement de personnalité, ce qui ajoutait à son mystère. Et l'enveloppe extérieure du Docteur rajeunissait au fil de ses réincarnations - il s'est produit 7 incarnations sur 12 possibles. Who n'est pas le nom du Docteur, mais le sobriquet qui lui est resté à force de s'être entendu demander Docteur "who?".

Le Docteur, vieillard excentrique âgé de plus de 750 ans, et sa petite-fille ne sont pas des êtres humains, mais font partie de la race des Timelords, les Seigneurs du Temps originaires de la planète Gallifrey et créateurs de la machine à voyager dans le temps et dans l'espace. Ils se déplacent à bord du TARDIS, nom formé par la petite-fille du Docteur avec les initiales de "Time And Relative Dimensions In Space". La machine présente la particularité d'être plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. C'est qu'elle a un aspect habituel à l'extérieur pour les terriens, c'est une cabine téléphonique, et que son intérieur, la cabine d'un vaisseau sophistiqué, existe dans une autre dimension, sur un autre plan de la réalité. Mais la machine a des ratés et entraîne Docteur Who et sa petite-fille au hasard du temps et de l'espace.

Au départ, Docteur Who devait être une série historique destinée aux enfants. C'est ainsi qu'on voit le Docteur, voyageant à bord du Tardis, au temps des Croisés, des Aztèques... Mais la série prendra une toute autre ampleur avec l'apparition des DALEKS, des robots en forme de poivrier venus d'une autre galaxie. Alors que Docteur Who, malgré son humeur bougonne, fait toujours le bien, les Daleks sont tout à fait mauvais. La série verra défiler d'autres monstres et se régalera de situations irréelles. Profondément imprégnée de l'esprit britannique, "Docteur Who" est probablement la série la plus anti-conventionnelle qu'on puisse imaginer.





Le déplacement

----------



"Pour réussir tout déplacement dans le temps, nous devons être nus. Seuls des organismes vivants peuvent se déplacer. Rien de ce qui est matière ne peut se déplacer". ("Terminator")





cfr. Doc Who



Que signifie "se déplacer dans le temps"? Où se retrouve-t-on lorsque l'on s'extrait de l'espace?

Si le voyage dans le temps prend du temps, cela veut dire que l'on  disparaît absolument de son époque, c'est-à-dire que l'on n'est plus nulle part dans l'espace simultané de son époque, pour réapparaître dans une autre époque. En effet, si ce n'est pas le cas, on continue de participer du mouvement intensif, de l'inertie de l'univers auquel on appartient. C'est ce qui semble se produire dans le cas d'un déplacement instantané dans l'espace. Un objet qui se déplacerait de façon instantanée dans l'espace ferait toujours partie de l'univers dans lequel il évolue. L'instantanéité ne suffit donc pas à caractériser le déplacement dans le temps. Mais l'instantanéité semble se justifier par le fait que les différentes époques ne se trouvent pas "ailleurs" dans l'espace, mais dans l'hyperespace des mathématiciens et physiciens, c'est-à-dire nulle part selon notre conception de l'espace. Il n'y a pas de distance spatiale d'une époque à l'autre. Si le déplacement dans le temps est instantané, ou s'il prend le temps minimum de Planck, 10-43s, les époques sont simultanées. A vrai dire, un déplacement dans le temps qui prendrait le même temps pour se rendre à n'importe quelle époque du passé ou du futur impliquerait que toutes ces époques sont simultanées. Par contre, un déplacement dans le temps qui prendrait un temps différent pour chaque époque impliquerait une succession des époques; en somme, le respect d'un calendrier. Si l'univers en tant que tout n'est nulle part, du moins de notre point de vue, c'est-à-dire du point de vue de son contenu, car il ne peut se référer à rien d'extérieur, il semble qu'il n'y ait pas de risque d'encombrement phénoménal. Le présent, transition entre ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore, n'est présent qu'à lui-même.

Mais si elle n'est nulle part et qu'elle existe toujours ou jamais, puisqu'il n'y a pas de distance temporelle entre notre époque et celle que l'on veut investir, comment déterminer l'époque où l'on veut se rendre? Elle n'a pas d'identité absolue.

Si la disparition du voyageur du temps de son époque correspond au passage dans un hyperespace, un méta-univers, une 4è dimension spatiale, un au-delà, un univers parallèle, il peut peut-être y avoir encombrement phénoménal dans cette nouvelle dimension, tout le passé et tout le futur s'y cotoyant. Dans tous les cas, nous ignorons comment déterminer notre destination. Ainsi, s'il est question pour le voyageur du temps d'une disparition absolue de son présent, n'est-ce pas pour réapparaître forcément dans le futur, le monde ayant vieilli, ou dans le passé, comme en prenant un train en marche, soit avec plus ou moins de wagons de retard?



Evoquons la situation décrite dans la nouvelle "Experiment" de Fredric Brown. L'expérimentateur envoie un cube dans le futur. Le cube disparaît du présent de l'expérimentateur pour réapparaître cinq minutes plus tard. Selon le point de vue de l'expérimentateur, et par rapport à son temps propre, le cube "prend de l'avance". Mais comment concilier le fait que l'expérimentateur évolue "à son rythme" et que le cube évolue au même rythme mais cinq minutes plus tard? Pour que l'expérimentateur puisse le rattraper, il faudrait que le cube soit immobile dans le temps pendant 5'. Si le réel est en mouvement, le cube attend suspendu dans le temps nulle part. Mais reste à savoir comment il sait que 5' sont passées pour réapparaître. Si tout instant est fixe, il n'y a pas de déplacement d'objet, mais un instant où il n'est pas là et un autre où il est à nouveau là, sans qu'aucun mouvement soit intervenu.

Le héros de Brown envoie aussi le cube dans le passé:

"Il est trois heures moins six, dit-il. Je vais mettre le mécanisme en route - je le ferai en plaçant le cube sur le plateau - en réglant à trois heures pile. Dans ces conditions, le cube doit, à trois heures moins cinq, disparaître de ma main et apparaître sur le plateau, cinq minutes avant que je l'y aie placé.

  • Comment pouvez-vous y placer le cube, alors? demanda un des confrères.

  • Quand ma main s'approchera, il disparaîtra du plateau, pour apparaître dans ma main afin que celle-ci l'y place. Trois heures. Veuillez observer, Messieurs.

Le cube disparut de la main du professeur Johnson. Et il apparut sur le plateau de la machine à traverser le temps".





Igor et Grichka Bogdanoff et "La machine fantôme"

---------------------------------------------



Les frères Bogdanoff sont tous deux célèbres pour avoir animé pendant plusieurs années des émissions télévisées qui alliaient les sujets scientifiques les plus sérieux aux plus grands délires de la fiction. Ainsi dans "Temps X", ils voyageaient à bord de leur chrononef. Ils sont aussi les auteurs d'une nouvelle ayant pour thème le voyage dans le temps et intitulée "La machine fantôme".

La nouvelle des jumeaux est en quelque sorte un développement de la discussion des personnages de Wells, dans le premier chapitre de "La machine à explorer le temps", et propose une issue différente de celle de la nouvelle Experiment de Fredric Brown, que nous venons d'analyser.

Le personnage central de la nouvelle des frères Bogdanoff, le professeur Biggle, a mis au point une machine à voyager dans le temps qu'il a appelée "Chronodyne", mais que ses collègues appellent par erreur "Chronogyre", clin d'œil des frères Bogdanoff à la série télévisée "Time tunnel".

Biggle veut effectuer une démonstration du fonctionnement du Chronodyne, mais il ne parvient pas à convaincre le parterre d'hommes de science de toutes les disciplines qui l'écoutent, qu'il a réussi à envoyer une feuille de papier dans le temps. Il se fait même railler par ses collègues, comme Aurélien de Champignac, neveu du Comte bien connu, dans Spirou.

Biggle envoie donc dans le futur une feuille de papier qu'il a paraphée. Quelques minutes plus tard, elle réapparaît. C'est donc qu'elle était "hors du temps" jusqu'à ce que l'époque du professeur Biggle la rattrape. Mais si l'époque a du retard sur la feuille, c'est qu'elle n'est pas réalisée ailleurs, dans le futur.

Pour le passé, c'est plus compliqué: "Voyons Biggle! Va encore pour le futur, mais le passé!... Vous savez bien que c'est radicalement contraire à la relativité!". A quoi Biggle réplique "... qu'à l'intérieur de champs non locaux, rien n'interdit qu'un corps matériel puisse remonter le long de sa ligne d'univers", ce qu'un petit coup d'œil à la Section Science vous confirmera, et ce que ne pouvaient manquer de savoir les ingénieurs et docteurs en sciences Bogdanoff.

De fait, voilà que surgit du néant sur le plateau du chronodyne une feuille signée par Biggle dans un futur de huit minutes. Le doyen se demande comment Biggle peut avoir en mains un papier qui n'existe pas encore: " C'est pourtant simple! Pour prendre une image grossière, vous savez tous qu'il y a deux façons de faire avancer un mobile: le tirer ou, au contraire, le pousser... Eh bien, grâce à mon chronodyne, pour la première fois, nous sommes en mesure de faire "tirer" un événement par le futur, au lieu de le laisser "pousser" par le passé". On pense au temps vu de la machine de Jarry.

Mais vient alors la question logique: que se passerait-il si Biggle ne plaçait pas la feuille sur le plateau du chronodyne pour l'envoyer dans le passé? "D'après mes équations, l'une des possibilités les plus vraisemblables serait la disparition pure et simple de notre univers à partir de l'événement". Biggle rassure ses collègues: il ne va pas jouer au savant fou. Mais le doyen Kooning, qui n'apprécie pas du tout Biggle, a alors une exclamation de triomphe: "Je serais curieux de savoir sur quelle feuille vous allez expédier votre satané message!, grinça-t-il sur un ton menaçant". Il semble en effet que ni la feuille que tient Biggle ni une autre feuille ne puisse être posée sur le plateau. S'il pose la feuille qu'il a en mains, il fera "nécessairement apparaître dans le passé quelque chose qui n'a jamais été créé", car qui aura rédigé le message? On rencontre là le paradoxe de la connaissance développé par le philosophe Davies, et qui n'est qu'une variante du paradoxe du grand-père développé par Barjavel. Si Biggle pose une autre feuille sur le plateau, il va modifier le passé; le futur modifiera irrémédiablement le passé. La situation est impossible.

"Pourtant, la solution existait bel et bien, puisque la feuille était là, sous ses yeux!".

Biggle griffonne alors une autre feuille et l'envoie dans le passé, espérant que celle qu'il a en mains disparaîtra aussitôt. Au contraire, c'est un nouveau message qui apparaît sur le plateau du chronodyne. C'est un message envoyé du futur par Biggle à lui-même pour le mettre en garde contre ce type d'expérience. Mais il est trop tard, tout disparaît! "Un éclair blanc-bleu, venu de nulle part, happa soudain toutes les formes visibles, engloutissant en un instant les contours et les ombres. Et ce fut tout".



Ce n'est pas tout. L'expérience a été un échec. Biggle n'a pas réussi à faire se déplacer un objet dans le temps. La salle de conférence se vide, mais ne fond pas dans le vide. Dernier à la quitter, Biggle voit une feuille de papier sur le plateau du chronodyne. Il hésite, la froisse et la jette sans la lire. S'il l'avait lue, il aurait compris que sa machine fonctionne et qu'il viennent tous d'échapper à une catastrophe: "Laboratoire de chronodynamique. Seize heure cinquante-sept. Passé relatif. Au Pr. Biggle. Imbécile! Qu'est-ce qui te prend? Tu es en train de faire diverger l'histoire! N'oublie jamais que pour ne pas créer de paradoxe, tu ne dois pas conserver le premier message. Il te faut donc rédiger un nouveau billet et le transférer vers le passé relatif en même temps que celui que tu as déjà en main. Le chronodyne fera de lui-même la compensation en annulant la feuille en trop. Fais vite".

Cet épilogue appelle de longs commentaires. En envoyant une feuille dans le passé, Biggle crée un paradoxe, et comme il s'y attendait, l'univers disparaît. C'est aussi la conclusion de Brown dans "Experiment", avec cette nuance que le cube que son héros envoie dans le passé subsiste, alors que tout disparaît dans la nouvelle des frères Bogdanoff. Mais une histoire parallèle se poursuit. Dans celle-ci, Biggle n'a rien envoyé dans le passé. Il s'agit donc d'une autre branche d'univers, même si les jumeaux de temps X n'y font pas allusion. Reste à expliquer d'où peut bien provenir le message final. S'il vient du passé, de 16h57', soit huit minutes avant que Biggle n'envoie le message dans le passé, de quel passé s'agit-il? Pas de celui de l'univers où tout disparaît puisqu'il n'y a pas de connexion entre les branches d'univers. D'un autre côté, le message n'a pas de sens, de raison d'être, dans la seconde branche d'univers puisque Biggle n'a rien envoyé dans le passé. Biggle aurait soudain compris dans le passé le danger de l'expérience et envoyé un message dans le futur. Insensé. S'il est conscient du danger, il n'a pas besoin d'envoyer un message à lui-même. Il ne tentera simplement pas l'expérience. La seule explication plausible, c'est que la mise en garde vienne du futur. Mais dans ce cas, elle est inutile dans la deuxième branche puisque Biggle n'a rien envoyé dans le passé et n'a pas de feuille en main.



"Je n'aime pas tellement employer le terme de "déplacement". Disons plutôt que le chronodyne induit un champ de connexion entre deux instants différents, ce qui rend possibles des transferts d'information ou mieux encore, de matière entre ces deux instants". Le Transfert s'effectue dans une déflagration et des éclairs.





Nous avons vu que dans leur nouvelle "La machine fantôme", les frères Bogdanoff proposent comme solution à cette situation inextricable, la démultiplication de l'univers.

Mais pour le mathématicien Rudy Rucker, cette situation ne présente pas de contradiction: "Il ne s'agit pas ici d'une contradiction, mais c'est pour le moins une situation étrange. Au début, on peut être tenté de croire que la petite machine à voyager dans le temps ne cesse de parcourir circulairement toute la boucle. Il ne faut pas succomber à cette tentation! Si nous adoptons le point de vue de l'espace-temps, nous devons écarter l'idée qu'il y a quelque chose de véritablement en mouvement... Il n'y a ici qu'une simple boucle circulaire, comme un cercle, sans commencement et sans fin". Mais pour étendre la réflexion de Rucker, il faut faire remarquer qu'il ne s'agit pas d'une répétition incessante du même événement, contrairement à ce que tente de faire croire le film "Un jour sans fin". Dans ce film, un journaliste en mission dans un patelin revit sans cesse la même journée, gardant néanmoins le souvenir de tout ce qu'il va se produire et profitant de cette connaissance pour maîtriser le cours des événements. Cette possibilité de modifier les événements prouve qu'il ne s'agit d'une situation déterministe; si c'était le cas, à chaque répétition de la journée, un clone du personnage devrait s'ajouter, à l'infini, comme c'est le cas dans la nouvelle "Du temps et des chats" de Howard Fast ou dans la nouvelle "Moi, moi et... moi" de William Tenn; la situation décrite dans "Un jour sans fin" n'est théoriquement pas possible, elle ne tient pas compte du phénomène de surimpression temporelle que nous étudierons plus loin. Le seul moyen d'échapper à cette surimpression, c'est de fixer la boucle dans le déterminisme absolu. Et s'il n'y a pas de mouvement, il n'y a forcément plus de répétition.

                               

Outre le problème de la persistance des instants, apparaît celui de la dématérialisation complète du voyageur du temps. La question est: une chose ou une personne complètement dématérialisée peut-elle se "déplacer"? Si la réponse est non, ce sont les époques qui doivent se déplacer. Mais reste le problème de la "rematérialisation" du voyageur du temps, et de sa rematérialisation à la "bonne" époque.



Ce que l'on peut prévoir, c'est que l'apparition du voyageur doit être soudaine et doit se faire dans un claquement, le voyageur du temps ayant franchi le mur du temps, comme le pilote d'avion à réaction franchit le mur du son.

Et même s'il est précédé d'un déplacement dans l'espace, le déplacement dans le temps consiste en une extraction de tout espace.



Apparition et disparition absolues: version moderne de la génération spontanée



La précision du déplacement dans le temps n'est pas parfaite:

"Ils avaient été virés à l'aube mais, à cause des différents décalages de dates et d'heures et bien que leur passage eût été instantané, ils avaient atteint le XIVè siècle bien plus tard dans la journée, ce qui n'avait en soi que peu d'importance d'ailleurs". (Une rose pour l'ombre jaune, où Morane va en 1317 en France et en 3001 à Niviork) Nous verrons que cela en a plus qu'on ne croit.

La précision de la combinaison s'arrête à l'heure.

En état de vibration, le temposcaphe est suspendu dans le temps et, dès lors, devient invisible. Assez semblable à une soucoupe volante.





Les sensations

----------



"Il y a sûrement synchronisme entre la marche du temps et les couleurs... On dirait que par leur coloration, PASSE et AVENIR se rapprochent en s'éclaircissant peu à peu jusqu'à se fondre... finalement, en un blanc éclatant... By Jove! J'y suis!... cela crève les yeux!... ce blanc!... c'est la couleur du présent!!!...". ("Le piège diabolique", E.P. Jacobs)



"Je crains de ne pouvoir exprimer les singulières sensations d'un voyage à travers le temps. Elles sont excessivement déplaisantes. On éprouve exactement la même chose que sur les montagnes russes, dans les foires: un irrésistible élan, tête baissée!". Si ce n'est que ça, on va se bousculer devant l'attraction. Mais "J'éprouvais aussi l'horrible pressentiment d'un écrasement inévitable et imminent", ce qui est plus fâcheux. C'est le témoignage du Wells d'Alexander dans C'était demain.



"... ainsi Ray Cummings avec Le maître du temps (1929) où se trouvent décrites de façon magistrale les impressions d'un voyageur qui voit se dérouler en quelques instants le travail des siècles".



L'album "L'empire des mille planètes" nous donne une indication intéressante sur les effets du voyâge: "Attention Elmir! Le premier saut est toujours traumatisant et il va y en avoir plusieurs à la suite. Même Laureline et moi ne pouvons être sûrs d'y survivre...". Bien sûr tout le monde s'en sortira. Notons que cette série nous donne de nombreux exemples de "sauts" à travers un raccourci de l'espace-temps, et permet ainsi de les distinguer des sauts dans le temps.





Achronissage et  matérialisation

----------------------------



Admirons chez Silverberg l'arrivée d'un déserteur temporel dans sa nouvelle époque: "Une ouverture béa dans le ciel, comme si une main preste avait manœuvré une fermeture à glissière. Norm Pomrath tomba par la déchirure".

L'inspecteur Quellen lui-même, chargé de résoudre l'énigme des disparitions mystérieuses des citoyens,  ne résiste pas à la tentation d'effectuer un bond dans le temps. Il est vrai qu'il s'était arrogé des prérogatives qui le mettaient en infraction avec la loi et que ça commençait à sentir le roussi pour lui. Le voilà donc qui effectue le grand saut.

"Il y eut un tourbillon, une torsion, et Quellen eut l'impression d'avoir été retourné comme un doigt de gant. Il flottait sur un nuage violet au-dessus d'un terrain imprécis et il tombait".



Robert Heinlein, dont nous analyserons plus loin deux nouvelles exceptionnelles, "Vous, les Zombies" et "By his bootstraps"  tient compte des problèmes de matérialisation dans une époque donnée, insistant sur le fait qu'elle doit être calculée pour éviter tout incident, non pas à cause d'un objet quelconque qui se trouverait à l'endroit de la matérialisation, de l'achronissage, mais du "choc en retour du champ".





Comme Barjavel et Heinlein, Poul Anderson, auteur de la "Patrouille du temps", aborde le problème de la matérialisation dans l'époque d'arrivée: "Ce ne fut que par bribes qu'ils virent où ils étaient. Ils s'étaient matérialisés à une dizaine de centimètres au-dessus du sol - Everard songea plus tard à ce qui serait arrivé s'ils s'étaient retrouvés au sein d'un objet massif - et étaient tombés sur la chaussée avec un choc à leur déplanter les dents".



Henri Vernes n'oublie pas lui non plus d'aborder la question de la matérialisation. On apprend ainsi que le transmetteur de matière unipolaire fait courir le risque à son utilisateur de se rematérialiser à l'intérieur d'un rocher ou d'un arbre, ce qui équivaudrait à une mort immédiate. Voilà la réponse à la question que se pose Anderson.







Réactions psychologiques

--------------------



Le Scrameustache

------------



Achronir à une époque du passé et du futur n'est pas tout. Encore faut-il s'adapter à un nouvel environnement et à des individus au comportement et aux habitudes peut-être très différents de ceux du voyageur du temps.

"Le dilemme de Khéna", une aventure du Scrameustache, contient une très intéressante analyse des conséquences psychologiques du passage dans une autre époque, en l'occurrence le passé, le XVIè siècle. Est-ce un cas unique dans les récits de voyage dans le temps?



Qui sont Khéna et le Scrameustache?



Khéna va donc au XVIè siècle et y retrouve ses parents, qui ont échoué à cette époque par accident. Khéna et le Scrameustache doivent retourner au 20è siècle. La séparation est dramatique, Khéna est devant un dilemme, un choix cornélien: rester avec ses parents au XVIè siècle ou retourner à son époque familière sans ses parents. Khéna choisit la deuxième solution mais promet de revenir dans un an avec le Scrameustache rechercher ses parents.

Dans Le grand retour, la suite du Dilemme de Khéna, il est question d'un futur post-atomique comme on peut en trouver dans les aventures de Valerian et de Bob Morane. Un an a passé. En 1553, le père de Khéna exploite le champ magnétique terrestre et les courants telluriques anormaux dans une grotte pour créer une porte du temps. Celle-ci s'ouvre sur l'an 2857 où atterrit Bérengère, la petite sœur de Khéna, avant que la porte ne se referme sur elle. Comme promis, Khéna et le Scrameustache vont chercher les parents de Khéna, entre-temps atteints de la peste, en 1553, avant de récupérer Bérengère en 2857. En 2857, Bérengère a fait la connaissance d'un petit garçon qui suit l'enseignement de maîtres très sérieux pour apprendre à maîtriser les pouvoirs qui sont en lui, notamment la télékinésie. Lorsque Khéna et le Scrameustache viennent rechercher Bérengère, le jeune disciple de faire remarquer à son maître, qui s'étonne de sa perplexité: "Oui, parce que Khéna retourne dans son présent, qui pour Bérengère est le futur alors que pour moi, c'est le passé...". Notons que si les auteurs Gos et Walt avaient choisi les années 1503 et 2907, au lieu de 1553 et 2857, soit enlever 50 ans au XVIè siècle pour les ajouter au XXIXè siècle, on aurait obtenu par soustraction du plus petit nombre du plus grand nombre, la différence 1404, et par addition de ces deux nombres, la somme 4410, soit deux nombres composés des mêmes chiffres. Ne cherchez pas le rapport avec la choucroute!



Lors du voyage du vaisseau du Scrameustache vers le passé, on voit le recul du temps à travers les révolutions inverses de la terre.





Moorcock et "Voici l'homme"

-----------------------



Voici "Voici l'homme". D'un point de vue purement littéraire, il s'agit sans doute du meilleur ouvrage de ce répertoire pourtant bien achalandé: il allie sobriété, clarté, profondeur et cohérence. De plus, le point de destination du héros, les années d'existence du Christ, est bien moins souvent exploité qu'on aurait pu le croire.



Moorcock est un écrivain anglais à l'œuvre prolifique. Il est surtout connu du grand public pour sa saga d'Héroïc-Fantasy "Elric le Nécromancien".



Moorcock se permet de nombreuses audaces dans Voici l'homme. Il envoie son héros, Karl Glogauer, en 28 de notre ère. Glogauer veut assister à la crucifixion de Jésus. Ce qu'il ignore, c'est que le fils de Dieu souffre d'une déficience mentale et qu'il ne correspond absolument pas à l'image historique dont il s'est imprégné. Glogauer est un torturé, empêtré dans sa médiocrité jusqu'au jour où il décide de quitter une époque qui ne tolère que la force et le courage, et un entourage qui ne supporte plus ses plaintes. Il se laisse entraîner par son destin et joue le rôle qui était attribué au fils de Marie.



L'originalité et la force du livre de Moorcock, c'est de juxtaposer le parcours du Glogauer médiocre et celui de l'acteur d'une histoire insolite. Nous assistons à l'évolution psychologique de Glogauer, nous le voyons s'imprégner de son rôle de malheureux promis à un grand destin, pour assister finalement à sa crucifixion. Grâce à la finesse et à la précision de son analyse psychologique, et par le fait que le récit est émaillé de paraboles bibliques, cette histoire constitue la meilleure illustration d'une situation de déterminisme absolu. En effet, il était "écrit" - par Dieu ou Moorcock? - que Karl Glogauer remonterait dans le temps et assumerait le rôle du messie. Aucune place n'est laissée au libre-arbitre.

Moorcock va même plus loin. Prenant les autres récits de déplacement dans le temps, où le jeu consiste à éviter ou à résoudre les paradoxes qu'il provoque, à contre-pied, Moorcock fait du déplacement dans le temps, la solution au paradoxe qu'aurait provoqué l'inexistence d'un Christ crucifié. C'est un comble!





Profitons de l'occasion pour dire un mot du type de voyageurs du temps que nous avons rencontrés.







La durée du voyage dans le temps

----------------------------





Mesure du temps

-----------



Avant de tenter d'apporter une réponse à la question de savoir "combien de temps" peut durer un déplacement dans le temps, nous devons évoquer le "temps de Planck".

L'angoisse du temps qui passe trouve-t-elle un viatique, se dilue-t-elle dans le souci d'une mesure de plus en plus fine de la durée? Notre enquète va couvrir en quelques lignes cinq mille ans d'histoire.

Les pyramides babyloniennes, aussi appelées "ziggourats", auraient permis d'observer les astres et d'établir un premier calendrier. Aux environs de 1500 avant J.-C., les Egyptiens ont mis au point le gnomon, un simple bâton planté en terre qui permet d'évaluer l'heure en fonction de l'ombre qu'il projette. Le gnomon constitue l'ancêtre du cadran solaire. Les Egyptiens ont aussi inventé la clepsydre, sorte d'horloge à eau toujours utilisée au Moyen-Age et à la Renaissance, notamment par Galilée pour effectuer ses mesures de vitesse de mobiles. Le sablier date aussi de cette époque. Jules César a inventé le calendrier qui porte son nom, le calendrier julien, par l'introduction des années bissextiles. Mais en 1582, le pape Grégoire XIII met au point/invente le calendrier grégorien - ça ne s'invente pas -; c'est le calendrier que nous utilisons encore aujourd'hui.

Au XVIè siècle apparaît la montre mécanique, avec le physicien Huygens. Les horloges placées au sommet des églises et des beffrois deviennent des carillons qui rythment la vie sociale jusqu'à la première révolution industrielle. Beaucoup plus près de nous, la montre à quartz a considérablement augmenté la précision de la mesure du temps avec ses cent mille vibrations par seconde. Mais ce n'est rien à côté de la précision fournie par une horloge atomique. L'étalon de mesure du temps est actuellement fourni par l'atome de césium 133.

Pour atteindre une précision de l'ordre de la picoseconde dans la mesure du temps, il a fallu redéfinir ce qu'est l'unité

de temps conventionnelle: la seconde. Auparavant, la seconde était la 86400ème partie du jour. Aujourd'hui, c'est la durée de 9192631770 périodes de radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133. Quant à l'unité de longueur, le mètre, elle dépend de cette unité de temps: elle est la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière pendant une durée de 1/299792458ème de seconde. Ces définitions ont peut-être l'air bien compliquées mais elles font référence à quelque chose de simple: la fréquence. La fréquence, c'est le nombre de vibrations par unité de temps dans un phénomène périodique, qui se répète régulièrement.  Les 9192631770 périodes de radiation représentent 9192631770 vibrations pendant une seconde.

On fera remarquer qu'il fallait savoir ce que valait 1" avant de pouvoir la faire correspondre à ces 9192631770 vibrations!

En effet, on est parti de la 86400ème partie du jour, et on a remarqué que cela correspondait aux 9192631770 périodes de radiation. L'intérêt de cette nouvelle façon de mesurer la seconde, c'est qu'elle est très stable, beaucoup plus stable que ce qu'indiquaient les horloges jusque là.

Mais le point essentiel de ce chapitre est la notion de "temps de Planck", soit une limite absolue dans la possibilité de diviser le temps. Résultat d'une formule dans laquelle interviennent les trois constantes fondamentales de la physique, G, h et c, le temps de Planck signifie que l'on ne peut diviser le temps au-delà de

                                                                    10-43s

1



C'est une découverte fondamentale, puisqu'elle signifie que l'on ne peut décomposer le temps et l'espace à l'infini. Elle a aussi pour conséquence que la nature du temps à cette échelle est probablement très différente de celle que nous connaissons à notre échelle: les physiciens évoquent la notion de temps "granulaire", discontinu.

Nous avons vu que pour l'être humain, la vitesse d'écoulement du réel est d'environ une image toutes les 0,04s, soit 25 images par seconde. Mais si la limite absolue de division du temps est de

                                                                    10-43s

2



est-ce que cela signifie que la vitesse d'écoulement du réel est de 

                                                                    10-43s

3



A cette vitesse, le réel semblerait immobile à l'homme.

L'existence de cette limite tend à faire croire que le temps, donc le réel est discontinu. Mais peut-être ne vaut-elle qu'a posteriori, rétroactivement, formellement.





Combien de temps dure le voyage?

----------------------------





La localisation des différentes époques dépend du temps que prend le voyage dans le temps. La question à se poser est donc: le voyage dans le temps prend-il du temps? Et si oui, combien de temps?

S'il prend un temps différent pour chaque date du calendrier, le voyage doit avoir une durée équivalente à celle du temps propre du voyageur du temps.

En conformité avec le temps de Planck, le temps minimum possible de déplacement est de



                                                                    10-43s

11



soit le temps qui sera mis pour atteindre le passé ou le futur distant de

                                                                    10-43s

12



En effet, le passé et le futur les plus rapprochés de notre présent ne peuvent se situer en-deçà de cette limite établie par le physicien allemand.

Puisqu'une date différente prend un temps de déplacement différent, une date plus éloignée prendra un temps de déplacement proportionnel à son éloignement.

Par conséquent, le temps de voyage sera limité au temps de vie du voyageur du temps, à moins de cryogéniser l'aventurier.

Si le déplacement dans le temps prend le même temps pour chaque époque, cela signifie que chaque époque est située à égale distance dans l'hyperespace par rapport à l'espace du voyageur; il y a donc une infinité d'époques parallèles, tout comme il peut passer une infinité de droites parallèles en un point dans la géométrie non-euclidienne.

Quel est ce temps de déplacement? Il semble ne pouvoir être que de

                                                                    10-43s

13



En effet, s'il est supérieur, il interdit le déplacement vers un passé ou un futur éloigné de



                                                                    10-43s

14



Si le déplacement ne prend pas de temps, il est instantané. Or il faut être bien conscient que l'instantanéité implique la simultanéité, c'est-à-dire que le voyageur du temps, au moment de son départ, se trouve à la fois à l'époque de départ et à celle d'arrivée. Autrement dit, à cet instant, il se différencie dans l'espace, démultiplication avec un exemplaire dans l'espace contemporain et un exemplaire dans l'espace passé ou futur.

La question est: l'exemplaire de l'espace contemporain persiste-t-il ou disparaît-il après le déplacement? S'il doit disparaître, c'est le plus vite possible, soit après



                                                                    10-43s

15



Logiquement, puisque le temps ne peut être découpé en deçà de cette limite, la vitesse du mouvement intensif ??? est de



                                                                    10-43s

16



Le philosophe David Lewis explique l'écart de temps entre le départ et l'arrivée du voyageur du temps, par exemple mettre 10' pour voyager de 5 siècles, par l'existence de deux types de temps: le temps personnel, ce que Issac Asimov appelle le physio-temps, et le temps extérieur, le temps de l'histoire, ou plutôt de l'univers pris dans son mouvement d'inertie. Or, l'image du train pour figurer l'univers ne nous a-t-elle pas appris que le temps du train et celui de ses passagers étaient un seul et même temps?











Les paradoxes

---------



Le plat de résistance de cet essai, le nœud gordien, l'équation au nombre inconnu d'inconnues, le dédale à l'issue hypothétique.

C'est le lieu et le moment d'assembler les pièces du puzzle, de sortir du labyrinthe, de résoudre le casse-tête, de décoder les hiéroglyphes, de déchiffrer la partition, de trouver la solution de l'énigme, de faire échec au roi des paradoxes!





préliminaire

--------



On pourrait être tenté de limiter l'analyse des implications de la possibilité de se déplacer dans le temps à l'hypothèse du voyage dans le futur car, à première vue, cette possibilité semble moins évidente que celle du voyage dans le passé. En effet, "il semble plus facile de concevoir que ce qui a déjà été soit encore, que ce qui n'a pas encore été soit déjà", selon la célèbre formule de Blaise Pascal cherchant à convaincre l'incrédule de la vérité de la Résurrection du Christ. Même si Jacques Goimard, dans sa présentation de l'anthologie de nouvelles sur le voyage dans le temps, écrit: "Nous commencerons par quelques voyages dans le futur. C'est ce qu'il y a de moins compliqué...". Il fait allusion aux paradoxes qui découlent du déplacement dans le passé, pas à la possibilité même du voyage.

Mais pour Paul Watzlawick, dans "La réalité de la réalité", le voyage dans le passé semble plus paradoxal que dans le futur: "Minces sont les chances de voyager dans le futur. Quant à voyager dans le passé, c'est, comme nous l'allons voir, une tout autre histoire, dont les heurts avec notre sens commun et notre vision "normale" de la réalité sont encore plus étranges". "Une barrière se dresse, celle de la logique voulant qu'on ne puisse à la fois être ici ou ailleurs", complète Van Herp. D'ailleurs, pour Alain Saint Ogan et Camille Ducray dans "Le voyageur immobile", L'atlante surgi du passé ne peut retourner à son époque, le retour en arrière imposant à un être de se trouver corporellement en deux endroits différents au même moment - ce qui est logiquement absurde.

Pourtant, on parle de manière intuitive de machine à "remonter" le temps.

En fait, le voyage dans le passé semble physiquement plus facile que le voyage dans le futur, mais il pose apparemment plus de problèmes logiques.

C'est aussi ce que semble vouloir dire Lewis Carroll dans Sylvie et Bruno: "Souvenez-vous de la montre carrée du professeur. Ceci est une montre étrangère... qui a cette propriété particulière de ne pas marcher avec le temps, mais le temps marche avec elle. La faire aller de l'avant, en avance dans le temps réel, est impossible; mais je puis la ramener en arrière de près d'un mois".



Soit l'expérience de Brown amputée du voyage dans le futur, au grand soulagement de l'expérimentateur et de ses collègues, dont le cube n'est plus... amputé de ses manipulateurs, comme nous allons bientôt nous en rendre compte.



En réalité, nous allons voir que les notions de passé et de futur perdent toute signification dans un univers où le voyage dans le temps est possible, et que les paradoxes provoqués par un déplacement dans le passé ou le futur sont de même nature.







Temps ou voyage dans le temps

-------------------------



La contradiction fondamentale impliquée par la possibilité de se déplacer dans le temps concerne la possibilité même du voyage dans le temps. Démonstration:



Un instant tire son identité de la position qu'il occupe dans un calendrier, de sa démarcation par rapport à un passé et à un futur, en un mot, de sa "date".

Par contre, nous verrons que la possibilité du voyage dans le temps implique que toutes les dates du calendrier sont simultanées. La simultanéité des différentes dates du calendrier implique que "passé", "présent" et "futur" sont contemporains; l'instant perd donc sa position spécifique dans le calendrier; il perd son identité. Par conséquent, il semble impossible de déterminer "où" et "quand" se situe l'époque à laquelle on veut se rendre; on ne peut donc s'y rendre. 



Il semble que temps et voyage dans le temps s'excluent mutuellement. Si le voyage dans le temps est possible, le temps n'existe plus car il est dénaturé. Et la métaphore de la "ligne du temps" n'est sans doute pas pour rien dans cette dénaturation, elle a même probablement donné du poids à l'idée de voyager dans le temps puisqu'elle étale la durée et rend accessible d'un seul coup d'œil n'importe quel instant du passé et du futur. La possibilité du voyage dans le temps tue le temps en rendant toutes les époques simultanées, autrement dit, la possibilité du voyage dans le temps implique la perte d'identité du temps - le temps perd ses repères; ce qui a pour conséquence paradoxale de rendre sans signification l'hypothèse de la possibilité d'un déplacement dans le temps.



On comprend mieux pourquoi la possibilité du déplacement dans le temps n'est pas seulement d'actualité, mais "est" l'actualité. Toutes les dates de l'histoire de l'univers sont "actuelles" quelque part!



Ce paradoxe est la vraie "mère des paradoxes" liés au déplacement dans le temps, selon l'expression du physicien L.M. Krauss dans "La physique de Star Trek", mais Krauss désignait par là la réaction en chaîne temporelle qui provoque la destruction de la vie sur terre dans le meilleur épisode de la série "Star Trek: the next generation". Or, pour être détruite, la vie doit déjà exister, merci La Palisse. Dans le cas qui nous occupe, l'univers, donc la vie, n'a même pas l'occasion d'exister puisque la possibilité du déplacement dans le temps contredit son existence.





Le voyage même

----------



Mais postulons malgré tout la possibilité d'identifier une époque du passé et de l'avenir et de nous y rendre. Dès lors,

comme le suggère J. Van Herp, "Le tout premier paradoxe n'est-il pas le voyage dans le temps lui-même?". A partir du moment où l'on accepte la coexistence du temps et du voyage dans le temps, se pose la question du "décollage" du présent pour atteindre le passé ou le futur. On pense au paradoxe du mouvement de Zénon: de la même façon qu'Achille démarre mais ne parvient jamais à rattraper la Tortue, le voyageur du temps quitte son époque mais n'atteint jamais sa destination car son achronissage provoquerait immanquablement un paradoxe.

Les frères Bogdanoff affirment que "Tout déplacement vers le passé est à l'origine d'un paradoxe, même si ce paradoxe n'est pas apparent". Ils auraient pu étendre l'observation au déplacement dans le futur puisque le futur, actuellement réalisé, comme nous l'avons vu et le verrons, est le passé d'un futur ultérieur.





Simple présence

-----------





En admettant que le déplacement dans le temps ne soit pas auto-contradictoire, se pose tout de même le problème de la simple présence d'un voyageur du temps dans une autre époque que la sienne. Ainsi, Isaac Asimov, dans "La fin de l'éternité", assume les conséquences du voyage dans le temps: "plus d'une fois, il lui apparut que sa propre présence dans ce siècle, en tant qu'individu venu d'une autre époque, pouvait faire dévier le cours de son histoire. Si sa simple présence, qui constituait un élément perturbateur, pouvait exercer une influence décisive à quelque point clef, une autre séquence de probabilités deviendrait réelle...". C'est une autre façon d'exprimer la réalité de la sensibilité d'un système à ses conditions initiales.





Excès ou manque de matière

----------------------



"A cet instant même, il le savait, un déserteur partait pour le passé. Une vie était soustraite du présent. Et la masse? Se conservait-elle? Les renseignements sur la masse planétaire ne tenaient aucun compte de l'éventualité d'une soustraction subite et unique. Une centaine de kilos ôtés d'un coup aujourd'hui et projetés vers hier...". (Les déserteurs temporels, R.Silverberg)



La simple présence d'un individu dans une autre époque que la sienne provoque un autre paradoxe; en effet, cette présence ne respecte pas la loi de  "conservation de l'énergie", et le paradoxe ne se limite pas à l'époque d'arrivée, où apparaît un excès de matière, mais concerne aussi l'époque d'origine, où le départ du voyageur du temps laisse un trou symétrique. En effet, le déplacement du voyageur du temps implique sa disparition absolue de son époque d'origine et son apparition absolue dans son époque de destination, comme s'il n'avait jamais existé dans la première et existé depuis toujours dans la seconde.

Robert Silverberg propose une solution à ce problème: extraire de l'époque investie, pour la ramener à l'époque de départ, une masse ou une énergie équivalente à celle qui effectue le déplacement.

Néanmoins, cette situation n'est qu'une extension du problème plus général de la présence du même individu à deux endroits différents en même temps, et même à autant d'endroits différents qu'il effectue de sauts dans le temps. Concrètement, si nous avons découvert les restes d'un pharaon, comment peut-il se trouver bien vivant "ailleurs à un autre moment"? La présence d'un individu à une autre époque que la sienne constitue un anachronisme, une "faute contre la chronologie".







La sensibilité aux conditions initiales

-----------------------------------





Mais ce n'est pas tout. Pour illustrer le phénomène de sensibilité d'un système à ses conditions initiales, les météorologues ont l'habitude de dire qu'"un battement d'ailes de papillon dans l'hémisphère nord peut provoquer un ouragan dans l'hémisphère sud". Que dire de l'influence d'un voyageur temporel? Par sa simple présence, par sa seule respiration, il peut bouleverser son environnement? Nous avons vu que sa simple présence provoque dans l'époque investie un supplément de matière, d'énergie; l'utilisation de cette énergie peut déclencher des bouleversements événementiels à long terme.

La simple présence d'un individu dans une autre époque que la sienne constitue donc aussi un paradoxe parce qu'elle peut avoir une influence chaotique à long terme, ne fût-ce qu' à travers le simple souffle de la respiration du voyageur ou si, par mégarde, il écrase un papillon, comme le fait le touriste du temps Eckels dans la nouvelle "Un coup de tonnerre" de Ray Bradbury. Soulignons le clin d'œil de Bradbury, qui fait écraser par Eckels, son anti-héros, le papillon dont le battement d'ailes, pour les météorologues, peut provoquer un ouragan à l'autre bout de la terre. Avec Bradbury, ironie du sort, c'est l'incapacité du papillon à battre des ailes qui provoquera un ouragan temporel.



Ray Bradbury est un écrivain célèbre pour ses "Chroniques martiennes" et les nombreux scénarios qu'il a écrit pour le cinéma et la télévision. "Un coup de tonnerre" est une nouvelle qui est devenue une référence incontournable lorsque l'on évoque le thème du voyage dans le temps, car Bradbury y développe une conséquence possible importante du déplacement dans le temps: l'amplification d'un acte insignifiant au point de modifier le cours du temps de manière significative. Le récit repose sur le thème de l'exploitation du voyage dans le temps à des fins commerciales.

En 2055, une agence de voyages dans le temps organise une chasse au Tyrannosaure, le Lézard du Tonnerre, au crétacé. "Mais les amateurs d'émotions fortes ne sont pas conscients que le sort du moindre insecte préhistorique est lié à celui des milliards d'individus qui vivent au XXIè siècle? Un seul faux pas et le cours de l'histoire basculerait, bouleversant le destin de l'humanité...".

C'est évidemment l'erreur que va commettre Eckels, un des riches touristes de l'expédition, en écrasant un papillon du crétacé. Un battement d'ailes de papillon dans l'hémisphère nord peut provoquer un ouragan dans l'hémisphère sud, amplifiant l'extrême sensibilité aux conditions initiales des phénomènes atmosphériques, comme le suggèrent les théories du chaos; le papillon écrasé au crétacé provoquera un changement de l'histoire au XXIè siècle. "Ecraser une petite plante de rien du tout peut avoir des conséquences incalculables. Une petite erreur ici peut faire boule de neige et avoir des répercussions disproportionnées dans soixante millions d'années. Evidemment, notre théorie peut être fausse. Peut-être n'avons-nous aucun pouvoir sur le temps; peut-être encore le changement que nous provoquerions n'aurait-il lieu que dans des détails plus subtils... Mais tant que nous nageons dans l'incertitude sur la tempête ou le léger frémissement que peut créer notre incursion dans le Temps, nous devons être bougrement prudents", disait Travis, le responsable du groupe, avant le départ de l'expédition. Travis avait raison. De retour au XXIè siècle, les voyageurs du temps remarquent d'abord un changement secondaire, une modification de l'orthographe:

"L'écriteau imprimé, sur le mur, celui-là même qu'il avait lu tantôt, lorsqu'il avait pénétré pour la première fois dans le bureau. On y lisait:



            Soc. La chas à traver les âge

            Parti de chas dans le Passé

            Vou choisises l'animal.

            Nou vou transportons.

            Vou le tuez."



Mais il y a plus grave, beaucoup plus grave. Alors qu'ils étaient partis dans le passé satisfaits de l'élection d'un humaniste à la présidence des Etats-Unis, les voyageurs du temps ont la mauvaise surprise de constater à leur retour que la nouvelle version de l'histoire s'est choisi un dictateur pour diriger le pays de la liberté.

Il s'agit d'un changement symbolique important car annonciateur d'une nouvelle civilisation, mais on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un bouleversement fondamental à l'échelle de l'histoire, comme si Bradbury n'avait pas osé trop nous éloigner de nos cadres de référence. Ajoutons que la chaîne évolutive reliant les insectes à l'homme étant déjà bien avancée au crétacé, la perturbation provoquée par la mort du papillon doit faire partie des éléments circonstanciels de l'histoire de la terre.



Admirons par ailleurs la façon dont Bradbury se joue des "paradoxes". A la question d'Eckels de savoir si, au cours de leur descente au crétacé, ils n'auraient pas dû se croiser eux-mêmes en train de revenir au XXIè siècle, gage de la réussite de l'expédition, le chef de celle-ci dit: "Ce serait un paradoxe... Le temps ne souffrirait pas un tel gâchis, la rencontre d'un homme avec lui-même. Lorsque de telles possibilités se présentent, le Temps fait un écart sur lui-même... Avez-vous senti la Machine faire un bond juste au moment où elle allait s'arrêter? C'était nous-mêmes, nous croisant sur le chemin du retour. Nous n'avons rien vu. Il nous serait impossible de dire si notre expédition a été un succès..."

Et le tyrannosaure dans tout cela? Il sera abattu par Eckels et ses compagnons. Or, c'est tout de même un fameux "papillon", ce dinosaure! Sa mort doit certainement provoquer de graves perturbations du temps. Mais Bradbury a tout prévu. Il a envoyé Travis dans le passé pour repérer un tyrannosaure sur le point de mourir et déterminer le moment exact de sa mort. L'intervention des "chasseurs du temps" ne provoquera donc pas une modification de l'histoire. Par précaution, Travis oblige même Eckels, qui entre-temps a écrasé le fameux papillon, à aller retirer les balles du corps du monstre, pour ne pas laisser traîner au crétacé des objets anachroniques.



Le "coup de tonnerre", c'est d'abord celui que provoque l'apparition du tyrannosaure. Mais c'est aussi celui de la carabine de Travis, le chef de l'expédition, au moment où il appuie sur la gâchette pour abattre Eckels. Car à cause de lui, l'expédition fut un échec







Pour Isaac Asimov, dans "La fin de l'Eternité", une modification du passé aura des effets qui s'amplifieront avant de s'atténuer peu à peu: "Les répercussions s'étendirent plus loin, par vagues successives, atteignirent leur maximum au deux mille quatre cent quatre-vingt unième siècle, c'est-à-dire vingt-cinq siècles après l'intervention. L'intensité du Changement de Réalité déclina ensuite. Les Théoriciens établirent qu'à aucun moment, dans la suite infinie des siècles, il ne deviendrait égal à zéro, mais, cinquante siècles après l'intervention, il était devenu trop petit pour être détecté par l'ordinateur le plus perfectionné et c'était là sa limite pratique". Au fond, on ne voit là rien que de très naturel, mais qu'aucun auteur n'avait encore mis en évidence d'une façon aussi nette, même si René Barjavel et Poul Anderson font allusion à la "plasticité" du temps.





Tremblements de temps

-----------------



En quelque sorte, un paradoxe temporel peut provoquer un "tremblement" de temps. C'est le cas dans "Millenium", un film de… Les terriens du futur font des incursions dans le passé et enlèvent des personnes qu'ils utilisent pour se perpétuer car eux-mêmes ne peuvent plus procréer; ce sont tout de même des raisons plus louables que celles des extraterrestres de Timemaster. Mais au cours d'une mission, une des voyageuses du temps perd son arme. Il s'agit d'aller la récupérer. C'est l'occasion pour la chef de mission de tomber amoureuse de l'enquêteur qui essaie de déterminer les causes d'un crash aérien.

Mais la situation s'aggrave. Le docteur Meyer, seul rescapé du crash aérien, a trouvé une preuve de l'incursion de voyageurs temporels dans notre présent.

Un tremblement de temps de force infinie se produit dans le futur lorsqu'il se suicide, à cause du paradoxe que crée sa mort six ans trop tôt.

Savourons la profonde pensée philosophique du maître des temps futurs tandis que son univers est en train de disparaître: "Ce n'est pas la fin, ce n'est pas le début de la fin, c'est la fin du début".





Le sommet: la mère des paradoxes dans "All good things" de Star Trek





Les modifications volontaires

-------------------------



Revenons au classique des classiques, "La machine à explorer le temps", et interrogeons-nous avec les amis du narrateur sur les subtilités du déplacement dans le temps. Le héros de Wells fait une démonstration avec un modèle réduit de sa machine, l'envoyant d'abord dans le futur proche, puis dans le passé. Mais lorsque la mini machine va dans le futur, pourquoi ne la voit-on pas au présent, évoluant le long de sa ligne d'univers? Et dans le passé, pourquoi les amis du héros ne l'ont-ils pas vue avant que le futur voyageur du temps ne l'apporte dans la pièce? Un invité suggère que la machine se déplace peut-être si vite dans le temps qu'elle en devient invisible: "Nous ne pouvons pas plus voir ni apprécier cette machine que nous ne pouvons voir les rayons d'une roue lancée à toute vitesse ou un boulet lancé à travers l'espace. Si elle s'avance dans le Temps cinquante fois ou cent fois plus vite que nous, si elle parcourt une minute pendant que nous parcourons une seconde, l'impression produite sera naturellement un cinquantième ou un centième de ce qu'elle serait si la machine ne voyageait pas dans le temps. C'est bien évident".

Mais qu'en est-il quand le cube s'arrête?

Si on n'en a pas souvenir le lundi sur la table, comment, le mardi, pourrait-on l'envoyer à lundi? Et si, mardi, on va le déposer sur la table le mercredi, et que, de retour le mardi avec le cube, on le détruit, que se passe-t-il mercredi?

Première possibilité: le temps propre du cube se poursuivant, le cube est détruit dans son temps propre après avoir été dans le futur. Il apparaîtra donc subitement et disparaîtra subitement dans le futur. C'est après, seulement, qu'il sera détruit, mais dans le passé. Tout ceci dans un déterminisme absolu.

Deuxième possibilité: au moment où le cube est détruit, l'univers se démultiplie en deux branches, l'une avec le cube sur la table le mercredi, l'autre sans le cube.

Troisième possibilité: au moment où le cube est détruit, l'univers subit le même sort dans un élan de solidarité logique.

Quatrième possibilité: il persiste simultanément et comme en surimpression deux mercredi, l'un avec le cube, l'autre sans lui. Nous développerons plus loin ces quatre issues possibles d'un déplacement dans le temps.





Star Trek

-----



Deux épisodes de Star Trek nous offrent l'occasion d'illustrer les bouleversements de l'histoire provoqués par l'intervention d'un voyageur du temps dans le passé.

Star Trek est une série culte des années 70 et 80. "Contretemps" est considéré comme le meilleur épisode de la première époque de la série.

Le vaisseau Enterprise du commandant Kirk subit une "sorte de décalage dans le temps". Le vaisseau est secoué, le docteur Mac Coy s'injecte par inadvertance un produit qui le fait délirer et le rend paranoïaque. Il se téléporte alors en plein centre des perturbations chronologiques. Kirk, Spock et quatre membres de l'équipage le poursuivent sur une planète où ils découvrent une sorte d'arche à la source des perturbations. Evoquant le cercle, cette entité dit d'elle-même: "Je suis mon commencement et je suis ma fin. Je suis le gardien de l'éternité". Depuis tout temps, l'arche, ni machine ni être vivant, attendait qu'on lui pose une question. Spock comprend qu'il s'agit du temps en personne, une porte ouverte sur d'autres temps et d'autres dimensions. Et effectivement, l'équipage peut voir sur une sorte d'écran invisible l'arche faire des retours dans le temps par vagues successives. Elle montre à Kirk et ses hommes des images de millions de millénaires en arrière, et leur ouvre une porte sur leur propre passé, s'ils désirent le connaître. C'est l'instant que choisit Mac Coy pour traverser la porte. Le Commandant Kirk voudrait alors revenir un jour avant la piqûre accidentelle du docteur, mais le temps défile trop vite pour arriver à un moment aussi précis. L'arche ne peut rien changer à cette vitesse car elle a été "conçue" (???) ainsi. "C'est un fait accompli, voilà tout", dit Kirk avec philosophie en parlant de la piqûre de Mac Coy. Mais le problème, c'est que "Mac Coy est dans ce qui a été" et qu'il a modifié le futur en intervenant dans le passé, laissant ses compagnons perdus dans l'univers. "Votre vaisseau, l'endroit d'où vous venez et ce que vous avez connu, tout cela est effacé". En effet, Kirk n'arrive plus à contacter son vaisseau alors que la radio est en parfait état de marche, tout simplement parce que le vaisseau n'existe plus dans ce nouveau présent. "Tout s'arrête aujourd'hui. Il n'y a ni passé ni futur. Pour vous, le temps n'existe plus", dit l'arche. Une seule solution pour Kirk et Spock, traverser le miroir du temps. Ils atterrissent à une "époque de barbarie de l'histoire de l'Amérique". S'ils réussissent à empêcher Mac Coy d'intervenir dans l'histoire, ce sera comme si rien ne s'était passé.

L'époque de barbarie où ils arrivent, c'est l'année 1929. D'où ils viennent? "Coefficient espace-temps indéterminé", note Kirk dans son journal de bord. Après avoir volé des vêtements qui les rendent moins excentriques, Spock et Kirk sont accueillis par la responsable d'une pension pour sans-abri qui leur donne un peu de travail. L'ironie veut qu'elle ait une fine intuition et prédise la conquête de l'espace par les hommes; elle va même jusqu'à dire à Kirk et Spock qu'ils sont "anachroniques". Tandis que Spock met au point un intercepteur de mémoire, Kirk flirte avec Ellen Killer et en tombe amoureux. Mais Spock découvre qu'Ellen est le point de jonction chronologique avec le docteur Mac Coy. Il comprend aussi que Mac Coy sauvera Ellen Killer de la mort, car elle rencontrera le président des Etats-Unis 6 ans plus tard, et le convaincra de ne pas faire intervenir les USA dans une seconde guerre mondiale qu'Hitler remportera. En fait, Killer était à la tête d'un mouvement pacifiste qui a convaincu le président de ne pas intervenir dans le conflit et c'est ce qu'a permis Mac Coy en empêchant Killer d'être renversée par une voiture. C'est donc avec le plus grand désespoir que le Commandant Kirk empêchera le docteur de sauver Ellen, afin de rétablir le cours normal de l'histoire. Aussitôt, Kirk, Spock et Mac Coy retournent à leur époque. "Vous n'avez pas été absents longtemps", dit l'équipage. Cet excellent scénario est dû à l'écrivain Harlan Ellisson.





Star Trek: The Next Generation (La nouvelle génération), se conclut par deux épisodes (177-178) "Toutes les bonnes choses ont une fin", qui font la fierté de leurs scénaristes.

Picard, le nouveau commandant de l'Enterprise, est confronté à lui-même et doit voyager dans le présent, le passé et le futur pour empêcher la destruction de l'univers.

Il s'agit d'une des nombreuses histoires où, au cours d'un même épisode, le personnage investit passé, présent et futur. Mais cette histoire-ci est plus originale que les autres. Cet épisode contient, selon l'expression de L.M. Krauss dans "La physique de Star Trek", la "mère de tous les paradoxes": au même endroit, à différentes époques, l'"Enterprise" explose, ce qui provoque une réaction en chaîne dans le temps qui détruit la vie sur terre. En effet, le commandant Picard déclenche une réaction en chaîne d'événements qui se propagera à rebours dans le temps et détruira non seulement ses propres ancêtres, mais toute vie sur terre. C'est "l'exemple ultime d'un effet produisant une cause". Admirons le clin d'œil de Krauss à la version américaine, due à Kip Thorne, collègue de Krauss, du paradoxe du grand-père de Barjavel, le paradoxe du "matricide": dans "All good things", ce n'est pas la destruction de la mère qui crée le paradoxe, c'est la "mère des paradoxes" qui provoque la destruction de l'univers.



Nous avons ici un nouvel exemple des immenses possibilités qu'offre le thème du déplacement dans le temps.



Signalons que la série télévisée a donné naissance à une série de longs métrages dont deux, "Retour sur terre" et "Premier contact", exploitent le thème du déplacement dans le temps de l'Enterprise et de son équipage.









La rencontre avec soi-même

----------------------



"Ce serait un paradoxe... Le temps ne souffrirait pas un tel gâchis, la rencontre d'un homme avec lui-même. Lorsque de telles possibilités se présentent, le Temps fait un écart sur lui-même...". ("Un coup de tonnerre", R. Bradbury)



Le degré d'évidence du caractère paradoxal du déplacement dans le temps augmente encore dans la situation du voyageur du temps qui se rencontre lui-même, et acquiert par là une connaissance de l'avenir qui ne cadre pas avec la progression normale du réel. Nous verrons que cette connaissance joue un rôle déterminant dans la manifestation de la "surimpression temporelle". Ecoutons Isaac Asimov qui a bien résumé la situation: "Prenez un cas plus vraisemblable et plus facilement analysable et considérons l'homme qui, dans ses voyages à travers le Temps, se rencontre lui-même, et les quatre possibilités dans lesquelles un tel acte peut se produire. Appelons le premier individu dans le physio-temps: A, et l'autre B. Première possibilité: A et B peuvent ne pas se voir et ne rien faire qui puisse les affecter mutuellement de façon significative. Dans ce cas, ils ne se sont pas réellement rencontrés et nous devons écarter ce cas comme ne présentant aucun intérêt. Ou B, le second individu, peut voir A alors que A ne voit pas B. Ici non plus, aucune conséquence sérieuse ne doit être envisagée. B voyant A, le voit dans une position et engagé dans une activité dont il a déjà connaissance. Rien de nouveau n'est impliqué. La troisième et la quatrième possibilités sont que A voit B, alors que B ne voit pas A, et que A et B se voient l'un l'autre. Dans chaque cas, le point important est que A a vu B; l'homme à un premier stade de son existence physiologique se voit lui-même à un stade ultérieur. Notons qu'il a appris qu'il sera vivant à l'âge apparent de B. Il sait qu'il vivra assez longtemps pour accomplir l'action dont il a été le témoin".

Jusque là, pas d'autre paradoxe qu'une démultiplication encombrante du voyageur, et une infraction à la loi de conservation de l'énergie, ce qui n'est déjà pas si mal.

"Maintenant, un homme connaissant son futur, même dans les moindres détails, peut agir suivant cette connaissance et, par conséquent, il change son futur. Il s'ensuit que la Réalité doit être changée de façon à ne pas permettre à A et B de se rencontrer ou, tout au moins, d'empêcher A de voir B. Alors, tant que rien ne peut être détecté dans une Réalité rendue non réelle, A n'a jamais rencontré B. De même, dans tout paradoxe apparent du voyage dans le Temps, la Réalité change toujours de façon à éviter le paradoxe et nous en arrivons à la conclusion qu'il n'y a pas de paradoxe dans le voyage dans le Temps et qu'il ne peut y en avoir aucun".

Mais il paraît difficile d'empêcher toute rencontre d'un voyageur du temps avec lui-même. Les moyens de l'Eternité ne semblent pas être à notre portée. Et de toute façon, nous verrons que toute intervention d'un voyageur du temps crée une perturbation aussi radicale que celle que l'on rencontre dans le paradoxe du grand-père.





Les bonds de Saint-Menoux, le "voyageur imprudent" de Barjavel,  dans le passé en offrent une belle illustration.

Lors d'un retour dans un passé assez récent, à la Belle Epoque, Saint-Menoux agit sous le masque du "Diable Vert", ainsi que l'a nommé la presse de l'époque. Les exploits de ce cambrioleur fantôme sont donc rapportés par la presse, ce qui provoque l'apparition subite en 1942, soit quelques années plus tard, d'un tas d'ouvrages, de l'essai au roman de gare, qui ont pour sujet notre héros et qui, et c'est cela l'intérêt de l'anecdote, n'existaient pas en 1942 avant que Saint-Menoux n'effectue son bond dans le passé. Le plus remarquable, c'est que Barjavel pousse la logique jusqu'à signaler des modifications dans le contenu de ces ouvrages issus du néant, en fonction des nouveaux bonds dans le passé de Saint-Menoux et des nouveaux forfaits du "Diable Vert". Lors d'une de ses incursions dans le passé, Saint-Menoux va se rencontrer lui-même et se parler. Cette rencontre est l'occasion pour nous de développer une conséquence inattendue de la possibilité du déplacement dans le temps: la surimpression infinie, ou mise en abîme temporel, qui s'applique à n'importe quel saut dans le temps. Dans le récit de Barjavel, le moment où Saint-Menoux se rencontre lui-même a déjà existé sans que Saint-Menoux se rencontre lui-même. Cela signifierait que le saut dans le temps ne constitue pas une boucle depuis toujours et à jamais déterminée où Saint-Menoux s'est toujours déjà rencontré et n'a jamais été seul à la date en question. Le voyageur du temps garde son libre-arbitre. Mais si l'univers ne se démultiplie pas à chaque apparition d'un voyageur temporel à la date en question, le prix à payer pour cette liberté est une superposition de tous les retours dans le temps au même moment que doit effectuer le voyageur du temps ou d'autres voyageurs du temps. Nous développerons plus longuement cette idée dans la section suivante.

Une autre anecdote a son importance: Saint-Menoux loge dans une chambre en face d'un immeuble qu'il trouve horrible. Cet immeuble a été dessiné par l'architecte Michelet, voisin de chambre de Saint-Menoux et individu insupportable. Lors d'une de ses actions, le Diable Vert empêche le mariage des parents de Michelet. De retour en 1942, Saint-Menoux a le plaisir de voir que Michelet n'existe pas, mais le désespoir de voir que l'immeuble est encore solidement ancré sur ses fondations. La plasticité du temps semble donc avoir ses limites - est-ce une contradiction? Le bâtiment existe toujours alors que l'architecte qui l'a conçu n'a jamais existé. Au fond, on peut voir là une réponse à la situation qui constitue le clou du récit de Barjavel: la tentative d'assassinat de Napoléon par Saint-Menoux. Saint-Menoux décide effectivement d'aller régler son compte au bourreau de l'Europe du début du 19è siècle. Mais il fait écrit pas de chance. Au moment où Saint-Menoux tire sur le petit grand homme, un soldat passe dans son champ de tir et prend la balle de plein fouet. Ce ne serait pas encore trop grave pour notre héros maladroit s'il ne s'avérait que le soldat en question est son ancêtre. Le corps de Saint-Menoux commence alors à osciller entre l'être et le non-être au cours de l'agonie de son aïeul. Pendant ce temps, un siècle plus tard, le souvenir de Saint-Menoux s'efface peu à peu de la mémoire de sa fiancée Annette. Saint-Menoux n'a jamais existé! L'histoire est finie.



Dans "Amours croisées", un épisode de la série "Code Quantum", Sam veut enfreindre la règle n°1, qu'il a lui-même édictée, du programme Quantum: le voyageur du temps ne devra tirer aucun avantage de sa position pour améliorer ou détériorer sa vie. Le désir de (re)conquérir plus tôt dans le temps, le cœur de celle qu'il aurait dû épouser quinze ans plus tard, lui fait vite oublier ce principe, et nous rend le personnage sympathique.





Surprise, surprise

--------------



La rencontre d'un voyageur avec lui-même peut avoir d'autres implications paradoxales encore, si l'on n'y prend garde. Ainsi, contrairement à ce que nous laisse croire la réaction de Jennifer, la petite amie de Marty, dans "Retour vers le futur", la version future du voyageur du temps ne doit pas être surprise de se rencontrer elle-même, puisque cette rencontre fait partie de son passé. Par contre, le visité, à moins de manifester un flegme tout britannique, DOIT être surpris de se rencontrer lui-même.







Les actions incohérentes

--------------------





Abordons à présent des situations apparemment plus dramatiques, celles où le voyageur du temps cherche sciemment à modifier le cours des événements.





Dans le passé

---------





"Note: Maudick prend la machine et va dans le passé. Il détraque l'ordinateur, donc la machine ne marche pas et n'a jamais pu l'emmener dans le passé. Mais alors, il n'a évidemment pas pu détraquer l'ordinateur et la machine marche parfaitement, l'emmène dans le passé où il endommage l'ordinateur etc."

(Les méandres du temps)







Dans "First Time Machine", de Fredric Brown, le docteur Grainger montre sa machine à trois amis. L'un d'eux l'utilise pour remonter soixante ans en arrière et tuer son grand-père, qu'il hait, alors que celui-ci n'est encore qu'un enfant. L'histoire se termine soixante ans plus tard avec le docteur Grainger présentant sa machine à "deux" amis.

C'est aussi l'issue que donne Barjavel à son récit "Le voyageur imprudent". Rappelons-nous que le personnage Saint-Menoux retourne dans le passé avec l'intention de tuer Napoléon Bonaparte; mais il se trompe de cible, abat son propre aïeul et est effacé de l'histoire. Mais nous avons vu que Barjavel a approfondi la question dans un post-scriptum écrit quinze ans après la première édition de son roman:



"Il a tué son ancêtre?

Donc il n'existe pas.

Donc il n'a pas tué son ancêtre.

Donc il existe.

Donc il a tué son ancêtre.

Donc il n'existe pas..."



On ne pouvait mieux formuler le paradoxe provoqué par un acte incohérent dans le passé. Barjavel y a sans doute gagné l'éternité.



Apprécions l'humour du physicien Kip Thorne, justifiant le remplacement de l'expression "paradoxe du grand-père" par l'expression "paradoxe du matricide": "La plus grande partie de la littérature de science-fiction utilise l'expression "paradoxe du grand-père" plutôt que "paradoxe du matricide". Probablement parce que les hommes chevaleresques qui dominent la profession d'écrivain de science-fiction se sentent plus à l'aise en repoussant le crime d'une génération et en prenant un homme pour victime". En effet, pourquoi remonter jusqu'au grand-père alors qu'il nous suffit d'aller éliminer notre mère avant qu'elle ne nous ait conçu? Mais il y a plus simple encore: il suffit de faire un bond de quelques minutes dans le passé et de nous tuer nous-même avant d'effectuer le bond.





Principe de cohérence contre principe d'autonomie

---------------------------------------------





Les physiciens Xavier Deutsch et Michael Lockwood ont proposé une variante du paradoxe du grand-père: Sonia, une jeune fille, remonte dans le temps et provoque une rupture de ses grands-parents avant qu'ils ne se marient, la grand-mère pensant que son fiancé est fou lorsqu'il lui affirme qu'il a rencontré une voyageuse du temps: on aboutit à une impossibilité existentielle, comme c'est le cas pour Saint-Menoux. Mais si Sonia n'a pas le pouvoir d'agir selon sa propre volonté, c'est-à-dire si une force ou une volonté invisible l'empêche de séparer ses futurs grands-parents, son manque de libre-arbitre heurte le sens commun. Autrement dit, pour Deutsch et Lockwood, ne pas agir dans le passé peut aussi créer un paradoxe.

Selon eux, le paradoxe du matricide, variation du paradoxe du grand-père, repose en fait sur la violation d'un principe fondamental en science et pour le sens commun: le principe d'autonomie, soit la possibilité de faire dans son environnement immédiat tout ce qui est permis par les lois de la physique. Ce principe est violé par un autre, le principe de cohérence, selon lequel il faut que les configurations matérielles localement réalisables soient "globalement" auto cohérentes. Selon ce principe, le monde extérieur pourrait déterminer nos actes locaux. Sonia peut revenir dans le passé mais doit respecter le cours du temps passé. Deutsch et Lockwood imaginent donc que le fait que Sonia révèle à son grand-père qu'elle vient du futur ne provoque pas la rupture entre ses grands-parents, car la grand-mère est compréhensive et prend pitié de son fiancé. Mais en faisant parler Sonia à son grand-père de la même façon que dans la version initiale, Deutsch et Lockwood la font agir avec libre-arbitre. C'est la grand-mère qui se conforme au principe de cohérence puisqu'elle épouse le futur grand-père de Sonia malgré qu'elle le croie fou. Pour plus de cohérence, Deutsch et Lockwood auraient dû faire taire Sonia; ils disent d'ailleurs: "Il faut que quelque chose empêche Sonia... de s'écarter du fil des événements qui se sont déjà produits". Nous aurons l'occasion de revenir sur cette interprétation.







Dans le futur

---------





Le paradoxe dont il est question ici est le Paradoxe du puzzle incomplet. Dans "Cherchez le sculpteur", de Sam Mines, un homme de science construit sa machine à voyager dans le temps, va 500 ans dans le futur, y trouve une statue de lui qui rend hommage au premier voyageur dans le temps. Il la ramène à son époque, et elle est ensuite dressée en son honneur. Elle devait être érigée de son vivant, si bien qu'elle l'attendait dans le futur. Il devait aller dans le futur pour la ramener. Très bien! Mais quand et par qui a été réalisée la statue?

Une variante: le paradoxe du savoir anticipé ou paradoxe de la connaissance, que l'on trouve décrit dans "Comment fut découvert Morniel Mathaway", analysé par Michael Dummett, philosophe à l'Université d'Oxford. Un critique d'art du futur va dans le passé et montre à un peintre les photos de ses chef-d'œuvre, qu'il n'a pas encore peints et qu'il va se contenter de recopier. Les photos existent parce que copiées sur les toiles, les toiles existent parce que copiées sur les photos.

Pour Deutsch et Lockwood, le paradoxe de la connaissance ne présente pas de contradiction, seulement une troublante création circulaire à partir de rien. N'est-ce pas le cas de l'univers?

Deutsch a proposé une énigme du même calibre: le voyageur du temps va recopier dans le futur la découverte d'une physicienne spécialisée en Relativité, retourne dans son époque, a la future physicienne comme étudiante et lui fournit le document qu'il a ramené du futur, ou lui suggère la découverte qui la rendra célèbre. D'où vient donc cette découverte? A qui l'attribuer? A personne. En fait, il s'agit de l'argument du matricide à l'envers.

Isaac Asimov, dans "La fin de l'Eternité", a lui aussi illustré le paradoxe de la causalité puisque le déplacement dans le temps a été inventé au 24è siècle sur la base d'équations qui ne seront élaborées qu'au 27è siècle, et qui ne pouvaient être développées qu'en fonction de la réalité du déplacement dans le temps.





Cercle vicieux, boucle infernale

----------------------------



Les paradoxes du puzzle incomplet et du savoir anticipé sont presque sublimés dans la "boucle infernale", selon l'expression de Christian Grenier, décrite par Robert Heinlein dans "Vous, les zombies".

Robert Heinlein a une formation d'ingénieur. Ses nouvelles et ses romans ont souvent été primés. Il est reconnu comme l'un des auteurs qui maîtrisent le mieux les subtilités de la logique et, dans le cas du déplacement dans le temps, les subtiles infractions à la logique!

Quitte à mettre en scène l'invraisemblable, autant le pousser jusqu'à son comble. Le héros de la nouvelle d'Heinlein, âgé d'une trentaine d'années mais dont on ne connaît pas le nom puisqu'il est le narrateur, s'entretient avec le patron du bar secret réservé aux voyageurs du temps. Le patron l'envoie quelques décennies dans le passé pour qu'il y fasse la connaissance d'une jeune fille. Le voyageur du temps poussera le zèle si loin qu'il en tombera amoureux et la mettra enceinte, avant de repartir dans le futur. Quant à la jeune fille, peu après l'accouchement, elle subit une opération qui la transforme en homme. Une fois sortie de l'hôpital, elle effectue un bond de 20 ans en arrière et dépose son bébé à l'entrée d'un orphelinat. La situation n'est déjà pas banale, mais le caractère extraordinaire de l'histoire apparaît à la fin de la longue nouvelle d'Heinlein, lorsque le lecteur comprend que tous les personnages de l'histoire sont un seul et même individu!

Autrement dit, le héros d'Heinlein s'entretient avec lui-même plus jeune dans un bar, et se fait se rencontrer lui-même lorsqu'il était encore une jeune fille, pour se mettre enceint(e) lui-même et, une fois subie l'opération du changement de sexe, se déposer lui-même, bébé, une vingtaine d'années plus tôt, sur le seuil d'un orphelinat. Il peut alors profiter d'une semaine de repos bien méritée. Nous avons là une belle incarnation du "serpent Ouroboros, le serpent qui dévore éternellement sa propre queue, symbole du Grand Paradoxe de la civilisation crétoise.

Pourquoi placer l'apport d'Heinlein à cet endroit? Parce qu'il est considéré par ses pairs et par nombre de scientifiques intéressés par le voyage dans le temps, comme celui qui a montré la pertinence de l'idée du voyage dans le temps. La situation qu'il décrit est l'inverse exact de celle que rapporte Barjavel à la fin du "Voyageur imprudent". Au contraire de Saint-Menoux, le héros d'Heinlein fait tout pour assurer ses arrières.

Le comble du comble, c'est d'imaginer que l'humanité entière est un seul et même individu, un Adam du futur venu dans le passé pour se démultiplier à l'infini. De quoi donner mal aux côtes.



Petit test de compréhension en passant: quel est le sexe du bébé abandonné par son père-mère?



Le film "Le Cavalier du temps perdu" a pour mérite de présenter un inceste anachronique: le héros couche avec sa grand-mère. Il pourrait donc être son propre grand-père. Cet inceste révélé dans la dernière séquence du film est le seul véritable intérêt d'un film de série "h", et il faut reconnaître qu'il fait bien pâle figure à côté du tour de force du héros de la nouvelle d'Heinlein.





Gammes

--



"En fait, je suis venu du futur, c'est simple... et mes amis aussi, mais c'est un futur antérieur... et à cause d'un transfert imparfait, nous voilà dans votre présent... mais le passé, pour nous!" ("L'horloger de la comète", Spirou et Fantasio, par Tome et Janry)





Avant d'aborder la pièce de résistance de cet essai, soit l'étude et les tentatives de résolution des paradoxes liés au voyage dans le temps, il convient de répéter ses gammes, d'envisager toutes les possibilités ouvertes par cette perspective.





Cloc





Cloc est un petit personnage de bande dessinée qui passe son temps à voyager dans le passé et le futur.

Disons que Cloc décide qu'à 10h, il ira se voir à 12h. Il arrive à 12h, ils sont deux, Cloc10 + Cloc10+2. Puis Cloc revient à...? Quand au fait? Il faut bien qu'il revienne en arrière pour atteindre 12h et voir surgir son double Cloc10. S'il revient à 10h, il se rencontre lui-même au moment du départ. Son départ et son retour sont simultanés. N'y aura-t-il pas court-circuit causal, temporel? S'il revient avant 10h, il se rencontre lui-même avant son départ. Dans ce cas, il serait de retour avant de partir. S'il revient après 10h, il y a un trou temporel entre 10h et l'heure de retour. Période pendant laquelle le héros n'existe pas dans son époque d'origine, mais en double dans celle d'arrivée. On peut imaginer une infinité de variantes plus subtiles les unes que les autres, mais quoi qu'il en soit, à son retour, le héros a connaissance de ce qui va lui arriver à 12h.

A 12h, il voit surgir le lui de 10h qui retournera à 10h05', qui à 12h verra surgir le lui de 10h qui retournera à 10h05'. Si cette boucle n'est pas définitivement fixée, comme le suggèrent Xavier Deutsch et Michael Lockwood, cela veut dire qu'une infinité de héros parcourront la boucle du temps et s'en échapperont. Ici, il ne s'agit même pas de préserver le libre-arbitre, mais le "mouvement" du temps.

On peut imaginer Cloc retourner aux premiers temps de l'univers, ou plutôt dans le vide absolu qui l'a précédé, et provoquer une explosion formidable qui met en route la création.

On peut imaginer Cloc s'engendrant lui-même après s'être fécondé, ou Cloc plus jeune que son fils.

On peut aussi imaginer Cloc se faire préfacer un ouvrage par Jésus, Pascal, Newton, Mozart, Shakespeare ou une célébrité du futur dont il aura écrit la biographie.

On peut imaginer que Cloc revienne infiniment au même endroit au même instant, ou même qu'une infinité d'individus reviennent au même endroit au même instant, générant un encombrement phénoménal.





Un seul et même paradoxe

--------------------



En conclusion, on peut dire que tous les paradoxes liés au déplacement dans le temps constituent un seul et même paradoxe.

Les conséquences du paradoxe du matricide ne sont qu'une extension des perturbations provoquées par la sensibilité d'un système à ses conditions initiales; peu importe que j'intervienne moi-même dans ma propre chaîne généalogique - ou chaîne causale de manière plus générale - en tuant mon grand-père avant qu'il n'ait rencontré ma grand-mère, ou ma mère avant qu'elle ne m'ait conçu, les conséquences seront identiques si c'est un autre que moi qui tue mon grand-père ou ma mère. Par conséquent, toute intervention minime, comme le fait d'écraser un papillon, peut s'assimiler à l'élimination d'un élément d'une chaîne causale.

De la même façon, le paradoxe de la connaissance n'est qu'une variante du paradoxe du matricide, on l'appelle d'ailleurs aussi paradoxe de la causalité; l'œuvre d'art et le fils sont tous deux en défaut d'origine, sans cause, comme issus du néant. En apportant du futur une information, une création qui ne s'est pas encore produite dans le passé, et en incitant l'artiste ou l'auteur à "copier" le modèle, le voyageur du temps "tue" le créateur de l'œuvre; en ne lui permettant pas de la créer réellement, il tue le père pour ne laisser qu'un être sans lien réel avec l'œuvre: parricide ou matricide. Allons jusqu'au bout du raisonnement en remontant à la source des paradoxes. La plus belle confirmation de l'unité des paradoxes est fournie par le paradoxe du déplacement-même dans le temps. C'est la distinction d'un passé, d'un présent et d'un futur qui donne leur identité aux époques, et qui donne un "sens" et un "intérêt" à la question du déplacement dans le temps. Or la possibilité du voyage dans le temps implique une perte d'identité des époques. Et si un instant perd son identité, la question du voyage dans le temps n'a plus de sens. Par conséquent, la possibilité du déplacement dans le temps infirme la possibilité du déplacement dans le temps; nous avons la version fondamentale du paradoxe du matricide, et la confirmation que celui-ci apparaît parce que l'on réintroduit les lois de la logique après les avoir enfreintes.

Xavier Deutsch et Michael Lockwood attendaient un argument définitif sur l'impossibilité du voyage dans le temps! Doit-on considérer qu'il est arrivé?





Conséquences démonstrations solutions

---------------------------------



Restons optimistes. Notre hypothèse de travail reste celle de la possibilité du déplacement dans le temps à volonté, à n'importe quel instant passé ou futur, en conservant son temps propre.



Nous allons démontrer que tout déplacement dans le temps provoque:



soit un court-circuit temporel

soit un déterminisme absolu

soit une mise en abîme temporel

soit une démultiplication temporelle





Court-circuit temporel

------------------



Adieu les paradoxes!

A l'instant d'aborder une nouvelle époque, le voyageur du temps se désintègre dans une collision phénoménale, parce qu'il est composé d'antimatière.

Le court-circuit temporel constitue sans doute l'issue la plus radicale du voyage dans le temps; en quelque sorte une collision temporelle ponctuelle, qui se distingue de la collision temporelle "absolue" en ce qu'elle ne toucherait que le voyageur du temps et le lieu et l'instant de son arrivée. Mais justement, que devient le lieu d'impact?

A ma connaissance, aucune œuvre de fiction et aucune théorie n'envisagent cette possibilité. Il est vrai qu'elle annihile l'intérêt de la conjecture du déplacement dans le temps. Peut-être malgré tout peut-on voir la "réaction en chaîne" du fameux épisode de Star Trek "All good things" comme une approche des conséquences du court-circuit temporel.





Déterminisme absolu

---------------



La solution la plus simple, en tout cas la plus économique, au problème des paradoxes provoqués par un voyage dans le temps est le déterminisme absolu. Mais le prix à payer est élevé: la plus grande liberté devient peut-être pour le voyageur du temps la camisole la plus solide, la prison la mieux gardée.



Nous allons en effet "déterminer" toutes les implications logiques liées à la possibilité de se déplacer dans le temps à volonté. Pour ce faire, nous allons utiliser le plus bel outil mathématique: la "Démonstration par l'absurde".





Instantanéité et simultanéité

--------------------------



"C'est tellement bizarre de penser que les gens du passé sont réels", dit Marjorie, l'épouse de Renfrew.("Un paysage du temps", G. Benford)



"Preuve matérielle d'un passé qui n'a pas encore été vécu... Nos petits cerveaux n'ont pas encore compris que tout existe à la fois!" ("Rendez-vous à 20h en enfer", une aventure de Luc Orient par Paape)



Que signifient passé, présent et futur? Ils sont relatifs à l'époque considérée. Si le voyage dans le temps a un sens, ils n'ont plus de sens, quoique… Einstein a établi un nouvel absolu.



Imaginons que la possibilité existe de nous retrouver "instantanément" ou à tout le moins au temps de Planck, c'est-à-dire en 10-43s, à telle ou telle époque du passé ou de l'avenir. Cela implique que "simultanément", l'individu est ce qu'il est dans son époque et ce qu'il doit être ou ce qu'il a été dans l'époque investie, selon qu'il s'agisse du passé ou de l'avenir, et pour autant qu'il soit question d'une époque incluse dans l'histoire, le temps d'existence de l'individu. En effet, l'instantanéité du parcours dans le temps suppose la réalisation effective et actuelle de tout le passé et de tout le futur. Pour me retrouver en l'an deux mille à l'instant, il faut qu'actuellement soit réalisé ce qui représente l'an deux mille, ou plutôt il faut que se réalise l'an deux mille. De même, pour me retrouver en 1895 à l'instant, il faut que tout ce qui représente le moment de l'année 1895 que j'investis, soit effectivement quelque part au moment où je parle, dans notre univers ou dans une autre dimension. Une autre façon de se rendre compte que tout est déjà réalisé dans l'hypothèse de la possibilité du voyage dans le temps, est d'imaginer la visite d'un voyageur du futur qui va dans notre passé, notre présent et la partie de notre futur qui constitue toujours pour lui le passé. Toutes ces époques sont pour lui effectivement accomplies.

On peut donc dire qu'à la fois l'individu est, sera et a été. Pour étendre le mouvement logique, on peut dire que cet individu "est" simultanément "tout son devenir". En effet, puisque je peux décider à chaque instant de me retrouver à n'importe qu'elle époque du passé et de l'avenir, il faut que toutes ces époques existent quelque part toutes en même temps, car il n'y a aucune raison d'en privilégier une plutôt qu'une autre. Nous nous trouvons donc dans une situation plus critique encore que celle qui voyait le voyageur du temps se démultiplier autant de fois qu'il effectue de sauts dans le temps. Dans ce cas-ci, tout individu existe autant de fois que l'on peut diviser son temps d'existence, sans même qu'il se déplace dans le temps.



Isaac Asimov est l'auteur qui a, de la manière la plus évidente, basé son récit sur "l'étalement" des instants. Il résout les paradoxes impliqués par le déplacement dans le temps par l'intervention d'une main extérieure, celle de l'Eternité. Or, cet "être hors du temps", l'Eternité, est l'expression de la conception classique du temps en physique: les équations étant indifférentes à la flèche du temps, on peut connaître tout le passé et tout le futur. Il semble donc que le thème du "voyage dans le temps" soit né de la "négation" du temps par la physique classique - ce qui rend d'autant plus anachronique et remarquable la conception du temps de H.G. Wells. Dans les deux cas, le temps est étalé. La seule différence, c'est que l'étalement est "potentiel" dans la conception de la physique classique, alors qu'il est réalisé dans l'hypothèse de la possibilité du voyage dans le temps.





Déterminisme

--------



A quoi nous mène la nécessité de l'accomplissement actuel et total du passé et de l'avenir? A la détermination absolue du développement de l'être et de la pensée. Plus aucune part n'est laissée au hasard et à la liberté puisque tout est déjà réalisé, ou plutôt tout se réalise sans que nous puissions exercer sur les événements le moindre contrôle. Le passé et l'avenir sont écrits! Peu importe donc la question de la possibilité d'investir instantanément une époque différente de la nôtre: arrive ce qui doit advenir, que nous le voulions ou non. Pour aller au bout de notre raisonnement, il nous faut reconnaître que les mots ici inscrits ont depuis toujours été déterminés et que cette prise de conscience même, ce retour réflexif sur le texte en train de s'écrire, est prédéterminé, et ainsi à l'infini. Pourquoi est-ce que je ne prolonge pas l'énumération? Manifesterais-je quelque libre-arbitre? Voici en tout cas une occasion de nous interroger sur le pouvoir de suggestion du mot et sur la propension de notre esprit à se prendre au jeu du raisonnement jusqu'à l'absurde. Absurde?



Peut-être la "querelle du déterminisme" trouve-t-elle dans la réflexion sur les implications du voyage dans le temps, un argument péremptoire. Les deux principaux protagonistes de cette querelle, le chimiste et prix Nobel Ilya Prigogine et le mathématicien et médaillé Fields René Thom, s'affrontent sur la question de savoir si le formalisme mathématique traduit la réalité de manière pertinente et complète. L'enjeu? La possibilité de connaître le devenir du monde. Si le voyage dans le temps se révèle possible, l'histoire du monde est écrite depuis toujours et à jamais, et l'indifférence des équations au sens du temps ne fait que le confirmer, donnant raison à René Thom. Si par contre Ilya Prigogine voit juste, le temps est irréductible "nouveauté", selon l'expression de Bergson, et le voyage dans le temps n'est pas possible.







Arguments contre la possibilité du voyage dans le temps

---------------------------------------------------



Supposons possible l'investigation instantanée d'une époque différente du présent. Nous avons vu qu'elle nécessite la réalisation actuelle, effective, simultanée, de tout le passé et de tout l'avenir. Le futur étant actuellement réalisé, il se trouve à une époque plus ou moins lointaine un individu qui a découvert la possibilité de voyager dans le temps. A partir de l'instant de cette découverte jusqu'à l'infini, on imagine aisément que l'homme a tout le loisir d'explorer les époques postérieures et antérieures à la sienne.

Mais alors, comment croire qu'une infinité d'individus disposant de l'éternité pour explorer les vestiges du passé de leur civilisation n'auraient pas laissé de trace évidente de leur passage à l'une ou l'autre époque du passé qui nous est commun? Voilà qui nous paraît invraisemblable. Bien sûr cette démonstration ne possède pas toute la rigueur du raisonnement scientifique: elle suppose d'abord que l'humanité ne périra pas. Mais comment croire qu'elle puisse disparaître tout à fait s'il est loisible à une poignée d'hommes d'aller se réfugier dans une époque passée ou future en cas de catastrophe universelle imminente dans leur présent?

Ensuite, on suppose que l'individu aura le loisir d'utiliser cette invention, et surtout qu'une infinité d'individus en bénéficieront. Facile à croire puisque l'humanité ne peut périr, et qu'à raison d'un seul individu par an pendant une éternité, pour adopter un point de vue pessimiste, une infinité d'individus auraient bien l'occasion d'investir nos siècles.

Enfin nous supposons chez nos descendants l'envie de découvrir concrètement le passé de l'humanité. Je crois que nous pouvons parler sans exagérer de besoin de connaître le passé, si l'homme à venir ressemble un tant soit peu à l'homme d'aujourd'hui. De toute façon, peut-on concevoir un être pensant, humain ou autre, dénué de curiosité. Laissons-nous convaincre par ces arguments, tout en reconnaissant leur caractère ludique.

Et puis, pourquoi le voyageur du temps ne surgit-il pas à l'instant pour me démentir?





Le cas "Mandrake"

-------------





C'est un peu ce qui se produit dans deux des aventures de Mandrake.

Lee Falk et Phil Davies, les auteurs de "Mandrake, le magicien", sont peut-être les plus logiques des auteurs qui exploitent le thème du voyage dans le temps. On ne peut encore voyager dans le temps. C'est donc forcément du futur que doit venir le voyageur du temps. C'est ce que Falk et Davies vont nous montrer à travers deux récits.

Dans "Les voleurs de l'an 5000", Mandrake est "stupéfait". On lui demande de résoudre le mystère du vol d'uranium dans les réserves d'une base militaire dans laquelle personne n'a pu pénétrer. Caché dans la salle des réserves, Mandrake voit se matérialiser un homme et une femme venus de nulle part, et repartir dans une étrange machine en forme de cage.

Les voleurs découvrent Mandrake et lui apprennent qu'ils viennent de l'an 5000, pour puiser dans les réserves de la base de l'uranium. Ils connaissent en effet une pénurie d'uranium à leur époque; or l'uranium est indispensable à leur survie, car il leur permet de combattre les martiens qui veulent conquérir la terre. Les voyageurs du temps invitent Mandrake à les suivre en l'an 5000. Là, il peut se rendre compte de la véracité de leur récit. Mais Mandrake n'est pas au bout de ses surprises, il apprend que la jeune voyageuse du temps est sa descendante: "Je suis votre petite-fille de la cent-vingtième génération...". Mandrake apprend par la même occasion qu'il se mariera: "C'est fantastique! Je suis en l'an 5000, en train de parler avec une de mes descendantes". Inutile de préciser qu'à son retour au 20è siècle, les proches et les collaborateurs de Mandrake lui conseilleront d'aller se reposer pour effacer les effets du surmenage.

Dans "L'homme qui revient du futur", Mandrake est confronté au même problème de devoir convaincre son entourage de faits "insensés". Un petit homme mystérieux met la ville en émois en vendant des pilules de jouvence. Mandrake part à sa recherche et découvre qu'il s'agit d'un voyageur du temps qui vient de l'année 5068. L'intérêt du récit réside dans l'équipement du voyageur: un vaisseau invisible, un désintégrateur momentané de molécules, les pilules de jouvence dont l'effet ne dure que sept jours...

Mais le petit homme n'avait pas le droit de voyager dans le temps. Il est recherché par la police du futur qui le retrouve alors que Mandrake s'apprête à le livrer à la police du 20è siècle pour avoir commis des vols sous la menace: "Il nous en a fallu pour te retrouver. Nous avons dû explorer dix siècles!... Nous avons cherché d'abord les radiations de la machine, mais, moi, j'ai eu une meilleure idée!... Je suis allé au musée et j'ai vu quels vêtements il manquait! Les recherches ont été ainsi restreintes à 10 ans...", dit le policier du futur. Un jeu d'influence s'exerce alors entre Mandrake et le policier du futur. Mais alors que Mandrake est parvenu à désarmer le pandore, un autre policier du futur surgit de nulle part derrière lui et le désarme; la matérialisation soudaine du voyageur du temps se révèle plus efficace que le pouvoir d'hypnotisme de Mandrake. Les trois voyageurs du temps repartiront à leur époque sous le regard impuissant de Mandrake, qui ne parviendra pas à convaincre le commissaire de police de la véracité de son récit.







Quels paradoxes?

------------



Revenons aux conséquences du déplacement dans le temps à volonté. Voici une illustration de la situation de déterminisme absolu qui nous permettra d'apporter une réponse aux nombreux paradoxes impliqués par la possibilité de se déplacer dans le temps.

Cloc est un garçon de dix ans. Nous sommes le 17/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705" et Cloc désire se rendre le 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705". Pour simplifier la situation, ne le faisons pas se rencontrer lui-même. Il surgit au milieu d'une clairière et retourne aussitôt au 17/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040706", soit une mesure du temps de Planck plus tard pour éviter de le faire se rencontrer avant ou au moment de son recul dans le temps. Le 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705", il y a et il y a toujours eu deux Cloc, celui qui y était naturellement et celui qui a fait un bond en arrière dans le temps. Compliquons les choses et faisons Cloc se rencontrer lui-même dans le passé. Pour être le futur voyageur du temps, le Cloc qui reçoit la visite de lui-même doit vivre exactement ce qu'aura vécu le voyageur: boucle parfaite, Cloc s'est toujours déjà rendu visite le 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705" et il est toujours déjà retourné le 17/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040706".

Cloc n'aura donc jamais été seul ce 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705". Il n'aura jamais existé un 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705" avec un seul Cloc.



Ecoutons ce qu'en pense Rudy Rucker: "Supposez que je construise une petite machine à remonter le temps capable de se transporter deux minutes en arrière. Vers 11h55', je la fais rouler lentement sur le plan de travail de mon laboratoire, et avec une minuterie, je programme le saut pour 12h01'. Je suis assis et j'observe. A 11h59', il y a tout d'un coup deux machines sur le plan de travail: M, celle qui n'a pas encore fait le saut, et M', celle qui a fait un saut depuis le futur. Pendant deux minutes, les deux machines restent là et, à 12h01', la minuterie sonne, et M disparaît. Après 12h01', je me retrouve seul avec M', qui est en fait un exemplaire de M plus âgé".

Nous sommes bien ici dans la situation du déterminisme absolu. Rares sont les auteurs qui tiennent compte de ce dédoublement de l'entité qui voyage dans le temps.



Nous avons encore un bel exemple de déterminisme absolu dans la nouvelle de J.G. Ballard "Un assassin très comme il faut". Un jeune homme se promène dans la foule avec sa fiancée le jour du sacre du roi Jacques. Un attentat manqué contre le roi provoque néanmoins la mort de la fiancée du professeur Jamieson. Trente cinq ans plus tard, il a enfin réussi à fabriquer une machine à voyager dans le temps pour retourner à cet instant et empêcher l'explosion de la bombe. Il loue une chambre qui offre une vue idéale sur le lieu du futur drame, afin d'abattre un des deux terroristes qui, selon la presse, sont à l'origine du drame, en l'occurrence celui qui jettera la bombe. Assis à une terrasse de café, Jamieson se voit passer, âgé de vingt ans, au bras de sa fiancée. De retour dans sa chambre, il repère le porteur de la bombe mais ne voit pas son complice. Il l'abat mais la bombe explose. Il aperçoit sa fiancée étendue au milieu de la foule, et lui-même agenouillé, éperdu, auprès d'elle. A ce moment, Jamieson entend des bruits dans le couloir. Avant que la police ne pénètre dans la chambre et n'abatte l'auteur du coup de feu, il a juste le temps de relire la coupure de journal qui relate les événements et il comprend soudain: "... L'un d'eux était connu sous le nom d'Anton Remmers, tueur professionnel à la solde, croit-on, du second, un homme d'un certain âge déjà, dont le corps littéralement criblé de balles n'a pu être identifié par la police...". Jamieson voulait modifier le destin, il réalise qu'il en était l'acteur principal, l'inconnu évoqué par la coupure de presse. S'il n'avait pas abattu Remmers, la bombe aurait explosé au milieu de l'artère parcourue par le carrosse royal et n'aurait pas rompu l'artère de sa bien-aimée.

Le dénouement de ce type de récit rappelle à Christian Grenier la tragédie grecque où "... le héros agit pour échapper à un sort injuste, et ne fait au contraire que précipiter l'issue de son destin...".

La logique est sauvegardée au prix du libre-arbitre du voyageur du temps.





Inertie

---



Mais il est des auteurs pour qui aucun problème ne se pose.

Ainsi, contrairement à David Deutsch et Michael Lockwood, le philosophe David Lewis se satisfait de l'infraction au libre-arbitre dans le paradoxe du matricide ou du grand-père. Selon lui, il y a forcément quelque chose pour empêcher le voyageur du temps de changer le passé, ce qui, il faut bien l'avouer, ne fait que déplacer le problème; simplement, c'est l'univers qui s'arrange pour que le voyageur du temps ne commette pas d'acte incohérent. Lewis admet donc que le passé est fixé une fois pour toutes. Il doit reconnaître que la seule présence du voyageur dans le passé constitue un anachronisme.

Mais Lewis tire sur la corde en disant que les "contretemps" que subit le voyageur du temps ne prouvent pas qu'il n'est pas "réellement capable" d'agir dans le passé et de tuer son grand-père. Dans le cours normal des événements, nous échouons souvent à atteindre nos objectifs. Il semble que David Lewis joue sur le sens équivoque, ambigu du mot "pouvoir".



Son point de vue rejoint celui de Fritz Leiber, qui, comme nous le verrons, parle de "Loi de causalité" ou "Loi de Conservation de la Réalité". Il illustre son propos par la possibilité de changements mineurs dans le cours du temps: un arbre repousse là où un autre a été arraché; si un voyageur du temps tue la femme que doit épouser son grand-père, autrement dit sa grand-mère, le grand-père épouse sa sœur! Selon Leiber, rien n'empêcherait le grand-père d'épouser la sœur éventuelle de sa fiancée; par conséquent, pour reprendre l'exemple de la Sonia de Deutsch et Lockwood, la naissance d'une Sonia génétiquement très proche de la voyageuse du temps est tout à fait concevable.

Mais proche veut dire différent. Donc...

Par ailleurs, une conséquence surprenante de cette façon de présenter les choses est que le futur devrait alors être aussi rigide que le passé; il n'y aurait donc pas de libre-arbitre, pas plus que dans les actes des personnages d'un film, dont les séquences sont prédéterminées.



Le comble du déterminisme est fourni par la situation décrite par Michael Moorcock dans "Voici l'homme". Comme le fait remarquer Christian Grenier, "... c'est l'incursion même du voyageur temporel dans le passé qui est à l'origine de l'Histoire. Cette façon particulière d'envisager les voyages temporels les intègre tout simplement à une trame historique solide et unique, qui non seulement les accepte, mais les rend nécessaires: sans ces incursions dans le passé, l'Histoire aurait été différente, ou n'aurait pas été". Sans Glogauer, pas de Messie, pas de christianisme.







Déterminisme total et déterminisme absolu

-------------------------------------



C'est à cette situation qu'il faut appliquer l'expression "déterminisme total" de Jacques Van Herp. Van Herp parle en effet d'un déterminisme total qui pèse sur le monde dans la mesure où les interventions dans le temps perturbent les destins individuels, mais ne modifient pas l'histoire dans ses grandes lignes. Ce déterminisme se distingue du déterminisme absolu.

Le déterminisme absolu est lié à l'étalement dans un même instant de tous les instants de l'histoire de l'univers.

Le déterminisme qu'évoquent Van Herp, Reichenbach, Watzlawick, entre autres, s'accommode de l'écoulement de la durée. Simplement cette durée est telle un tapis que l'on déroule, avec çà et là quelques irrégularités sans conséquence, un futur préexistant qui s'accomplit, comme tiré vers une finalité omnisciente. A l'inverse, nous avons vu que le déterminisme absolu nie l'écoulement de la durée puisqu'il implique un étalement de tous les instants dans la simultanéité.



Si la présence d'un voyageur du temps dans le passé ou le futur n'a aucune influence sur le cours du temps, c'est comme si chaque instant était absolument indépendant de celui qui le précède et de celui qui le suit, et constituait un tout autonome à lui seul. Dans ce cas, la présence d'un voyageur ne différerait pas de celle d'un autochtone temporel, s'il n'y avait pas l'infraction à la loi de conservation de l'énergie.

Quant aux paradoxes qu'est susceptible de provoquer le voyageur du temps, ils n'existent plus puisque, tout étant déjà réalisé dans un déterminisme, total ou absolu, ne peut l'être que ce qui ne contient pas de contradiction.



Dans "La dernière patrouille", un épisode de la série "Au cœur du temps", on apprend que les techniciens du Chronogyre ne peuvent mettre le chronostat, le détecteur temporel, sur Dany et Doug, les deux concepteurs du projet qui ont plongé dans le temps, qu'à la condition qu'ils soient avec des personnes qu'ils peuvent fixer dans le temps. Une tentative de transfert avant d'établir les "repères" peut les tuer. Et un transfert individuel est impossible car tous deux font partie du même thème chronostatique. Tony et Doug ont achroni en pleine guerre de Sécession. Mais les calculateurs électroniques ne leur ayant  apporté aucune information significative sur le régiment qui combat en 1812 et par lequel Doug et Tony ont été faits prisonniers, les responsables du projet Chronogyre doivent faire appel à la mémoire d'un général dont l'ancêtre, surnommé le "boucher", commande le régiment en question et a dirigé les opérations sudistes ce jour-là. Le descendant décide de se faire envoyer dans le passé. Il révèle à son ancêtre ce qu'il va se passer, mais celui-ci s'obstine à agir comme l'histoire le retiendra. Le descendant finit par mourir, mais, s'étant rendu compte que son ancêtre avait envoyé ses hommes au casse-pipe sur la base d'une mauvaise information d'un de ses éclaireurs, il souhaite qu'on réécrive l'histoire pour le disculper. Reste que nous avons encore là une nouvelle illustration du déterminisme.



Comme dans "La fin de l'éternité", il y a manipulation du réel à partir de l'écran du chronogyre ou par immersion dans le passé ou le futur.



Dans le deuxième épisode de la série "Au cœur du temps", un lieutenant se voit 10 ans plus tard, sur l'écran du Chronogyre, dans la navette qui doit rallier Mars. Son comportement vis à vis de ses collègues est méprisable. Mais le fait de savoir comment il allait réagir ne l'a pas empêché de se comporter de façon inhumaine au moment où il vit réellement l'événement. Ce qui tendrait à montrer que les scénaristes ont choisi l'option du déterminisme absolu.



Relevons, dans la série, la même erreur que chez Vernes et tant d'autres auteurs, qui consiste à présenter les "années-lumières" comme une durée alors qu'il s'agit d'une distance.



Conclusion, Doug et Tony ne changent jamais le cours de l'histoire car tout est déjà écrit. Une originalité de la série consiste à insérer des séquences de films classiques pour illustrer les différentes époques visitées par nos héros. Mais à court de faits historiques, les scénaristes vont introduire l'intervention d'extraterrestres dans les derniers épisodes.







Paradoxe de la connaissance

-----------------------



Nous avons vu que le paradoxe du matricide a son pendant: le paradoxe de la "connaissance" ou paradoxe de la "causalité", c'est-à-dire la situation d'une chose créée en fonction d'une information qui provient du futur. Rappelons-nous le cas de cet homme de science qui va chercher dans le futur la statue qui sera érigée à son honneur dès on retour ou le cas de ce critique d'art qui montre à un artiste les œuvres qu'il a réalisées "des années plus tard". Selon Xavier Deutsch et Michael Lockwood, ce paradoxe viole "le principe que la connaissance ne peut résulter que d'un processus de création, telles l'évolution biologique ou la pensée humaine". Deutsch et Lockwood n'en trouvent pas moins la boucle de cette situation - portée à son comble chez Robert Heinlein dans "Vous, les Zombies", - auto-cohérente. Par ailleurs, à l'inverse du paradoxe d'incohérence comme le paradoxe du matricide, résolu par un déterminisme où les événements semblent plus fortement contraints que dans un monde où le voyage dans le temps n'est pas possible - ce qui est un comble puisque le voyage dans le temps est censé nous donner la plus grande liberté -, dans le cas du paradoxe de la connaissance, les événements sont moins fortement contraints, selon Deutsch et Lockwood; on peut même y voir un indéterminisme qui semble violer les lois de la physique classique, puisque le critique du futur peut ramener au choix croûtes, chef-d'œuvre ou rien du tout - mais alors où est le problème? En fait, on retrouve là la nature de notre réalité, minée par un paradoxe  fondamentalement identique, puisque l'univers doit provenir du néant ou exister de toute éternité, deux solutions aussi absurdes l'une que l'autre. Pour Deutsch et Lockwood, il faudrait établir un nouveau principe, selon lequel la connaissance doit résulter d'une création. Mais dans ce cas, le créateur ne fait pas ce qu'il veut, il ne peut pas copier sa propre oeuvre dont il possède un exemplaire venu du futur; il y a donc opposition au principe d'autonomie. Et comme ce principe de création vient renforcer la cohérence, c'est que la cohérence n'était pas aussi grande que ce que laissaient croire nos deux physiciens. Et c'est normal: la vraie autonomie, c'est de pouvoir "créer", pas de pouvoir se "plagier soi-même"! Tout ceci montre que la physique classique ne peut résoudre le paradoxe de la connaissance. Car pour Deutsch et Lockwood, le déterminisme absolu ne constitue pas une véritable solution au paradoxe.

Comment s'en sortir? Simplement en faisant remarquer, comme le suggèrent Deutsch et Lockwood, que la physique classique est erronée, qu'elle ne constitue, dans le meilleur des cas, qu'une excellente approximation de la vérité, mais qu'elle est très éloignée de la réalité dans le cas des Boucles du Genre Temps fermées. Il doit par conséquent exister une conception de la réalité qui apporte une solution satisfaisante au paradoxe de la connaissance. Nous verrons que pour Deutsch et Lockwood, la physique quantique est pleine de promesses à cet égard.

Quoi qu'il en soit, Deutsch et Lockwood ont le mérite d'affronter des paradoxes que les autres physiciens ignorent superbement sous le couvert de la théorie.





Inceste vital

---------



Quant à David Lewis, nous avons vu qu'il considère que la situation décrite par Robert Heinlein dans "Vous les Zombies", comble du paradoxe de la connaissance, est une solution auto-cohérente. Le héros existe avant de naître puisqu'il est son propre géniteur, qu'il va s'ensemencer lui-même. Le héros remonte en effet dans le passé, engrosse une jeune fille qui n'est autre que lui-même avant l'opération qui le fera changer de sexe. Le bébé issu de cette union sur-consanguine est transporté dans un passé un peu plus reculé encore pour justifier la naissance de l'héroïne-héros. Heinlein en avait-il consommé? En tout cas, il  apporte sa réponse à la question: "Qui vient d'abord, de l'œuf ou de la poule?". Pour Heinlein, la poule, ou plutôt le coq, précède l'œuf!

Ce qui est extraordinaire, c'est que le philosophe David Lewis en vienne à considérer le raisonnement d'Heinlein comme un argument puissant en faveur de la possibilité de voyager dans le temps.





Heinlein, Fast, Wul, Dick, Béliard, Moorcock





Terminator

------



Classique du cinéma de science-fiction, le film de James Cameron nous offre un Arnold Schwarzenegger au sommet de sa forme musculaire, avec un visage taillé à la hache et une solution au paradoxe du matricide: la "prévention".

Los Angeles 2029. Paysage apocalyptique. Les machines dominent le monde et tentent d'éliminer les derniers êtres humains. Mais ceux-ci, avec John Connor à leur tête, sont sur le point d'inverser le rapport de forces.

Los Angeles 1984. Un homme nu surgi du néant dans un quartier désert. En réalité, il s'agit du Terminator, un cyborg envoyé par les ordinateurs de l'an 2029, avec pour mission d'abattre Sarah Connor, la future mère du futur chef de la rébellion humaine qui mènera les hommes à la victoire contre les machines.

Au même instant dans le même quartier apparaît un autre individu nu, un homme cette fois, envoyé par John Connor avec pour mission de contrecarrer la mission du cyborg.

"Pour réussir tout déplacement dans le temps, nous devons être nus. Seuls des organismes vivants peuvent se déplacer. Rien de ce qui est matière ne peut se déplacer", ce qui explique pourquoi les envoyés du futur n'ont pas emporté d'armes sophistiquées de leur époque avec eux. On ne relèvera pas le fait que cyborg-schwarzie est fait de métal.

Kyle, puisqu'il s'agit de lui, est arrêté et pris pour un fou. Le psychiatre qui l'interroge: "Et ce Terminator pense pouvoir arriver à supprimer la mère de son ennemi, le tuant, si je comprends bien, avant même qu'il ne soit conçu. Une sorte d'avortement rétroactif". Il n'aurait servi à rien aux ordinateurs hyper sophistiqués de 2029, de faire tuer John Connor par leurs Patrouilles de la mort car il a gagné la guerre. Il faut "effacer toute trace de son existence". Quant à Kyle, il ne peut repartir à son époque car "le futur demeure le futur. Il n'y a plus que lui et moi".

Effectivement, le film consiste en une folle course-poursuite à travers Los Angeles entre Schwarzie-Terminator et Kyle et Sarah. Dans un moment de répit, Kyle a le temps de réciter à Sarah le poème que son chef John lui a fait apprendre: "Merci Sarah pour ton courage pendant ces dures années. Je ne peux t'aider ni te défendre comme je le souhaiterais, mais sache que le futur dépend de toi, que tu dois triompher de toutes les épreuves. Il faut que tu survives pour que je puisse naître". Après cette belle déclaration, Sarah tombe dans les bras de Kyle pour nous offrir un des plus beaux rejetons de paradoxes temporels qu'évoque cet essai: Sarah et Kyle font l'amour, Sarah aura donc été ensemencée par un père qui est plus jeune que son fils, ou du moins de la même génération que lui. Kyle mourra, le Terminator sera détruit. Sarah survit et enregistre un message pour son fils, dans lequel elle lui révèle qui est son père, afin qu'il l'envoie bien dans le passé le moment venu, s'il veut exister. Sarah joint une photo d'elle-même que John devra donner à Kyle. La boucle est bouclée... enfin presque, car il y a une suite! En tous les cas, les ordinateurs ultra-perfectionnés de 2029 ont signé leur propre perte puisqu'en envoyant un Terminator éliminer la future mère de leur futur vainqueur, ils ont provoqué l'envoi par leurs ennemis de celui qui va devenir le père du chef des rebelles!











Temps fixe

------



Les efforts d'Heinlein et des scénaristes de "Terminator" pour contourner les paradoxes du temps sont louables, mais n'y a-t-il pas moyen de tuer les paradoxes dans l'œuf? Souvenons-nous que les paradoxes du matricide et de la connaissance apparaissent parce que l'on réintroduit la logique après l'avoir enfreinte. Puisque les époques sont simultanées, la causalité n'est plus respectée.

Le mathématicien Rudy Rucker, dans son ouvrage "La quatrième dimension", qui est une sorte de prolongement voulu du "Flatland" d'E. Abbott Abbott, qu'il pousse dans ses dernières conclusions grâce à l'apport de la relativité d'Einstein et surtout de l'espace-temps de Minkowski, développe lui aussi une conception statique du temps avec l'image de "l'univers bloc". Son idée est que le sentiment d'écoulement du temps n'est qu'une illusion: "Beaucoup de philosophes prétendent qu'il est faux de dire que notre réalité est un univers-bloc. Ils ne veulent pas représenter notre univers passé-présent-futur par un modèle statique d'espace-temps 4-D. Ils estiment que cette image éternelle, immuable, exclut quelque chose d'important: l'écoulement du temps. Bien évidemment, la véritable raison pour laquelle on a introduit l'univers bloc était de se débarrasser de l'écoulement du temps. C'est l'œil de l'esprit en mouvement qui engendre le temps". C'est exactement l'interprétation que le physicien J.A. Wheeler a proposée pour lire les diagrammes de Feynman.

Ce qu'on fait avec les diagrammes de Feynman, on peut évidemment le faire avec ceux de Minkowski. Le réel est un entrelacement de vers quadridimensionnel fixés du point de vue de l'hyperespace. Comme le proposaient Xavier Deutsch et Michael Lockwood, pour comprendre le temps physique, il faut voir la vie ou la durée comme une sorte de ver quadridimensionnel, dont la queue correspond à la naissance et la tête à la mort d'un individu - voir la figure... du cahier central. Un instant du temps correspond à une section tridimensionnelle de ce ver. La courbe que forme ce ver, c'est notre ligne d'univers. Au fond, le ver n'est rien d'autre qu'une ligne d'univers représentée en trois dimensions spatiales.



Martin Gardner, le célèbre auteur d'ouvrages et d'articles de jeux mathématiques, fait aussi allusion à l'univers-bloc de Minkowski, dans lequel toute l'histoire est "gelée" sur un graphe où toutes les lignes d'univers sont éternelles et inaltérables.

Exploitant cette représentation, le philosophe Hans Reichenbach, dans "The philosophy of space and time", affirme que le voyage dans le temps dans l'absolu déterminisme ne contrevient pas aux lois de la logique (parce que le déterminisme n'autorise que ce qui ne la contrevient pas), mais à deux axiomes sur lesquels repose cette logique - ce qui est peut-être pis car alors la logique serait remise en cause dans sa globalité -, et fortement confirmés par l'expérience - ce qui est une autre façon de dire que ça s'oppose au bon sens:

1. l'identité: une personne est un individu unique qui maintient son identité avec l'âge.

2. la ligne d'univers d'une personne est ordonnée linéairement si bien que ce qu'elle appelle "maintenant" est toujours un point unique le long de cette ligne.



Martin Gardner fait remarquer que Hans Reichenbach ne parle pas du "libre-arbitre", que contredit aussi le déterminisme. Mais le libre-arbitre constitue-t-il un axiome.



Pour le philosophe Putnam, le fait qu'on puisse tracer un diagramme d'espace-temps des événements est la preuve qu'ils sont logiquement consistants.

Gardner le défie alors de les tracer pour des situations paradoxales. Mais le fait est que ce tracé s'auto justifie, donc élimine ce qui n'est pas logique.







La résolution du Consortium

-----------------------





Rappelons que le Consortium est l'expression de la collaboration entre des physiciens théoriciens américains, russes et anglais, avec Kip Thorne et Igor Novikov comme figures emblématiques.

Le Consortium s'efforce de résoudre les problèmes physiques et logiques liés au déplacement dans le temps à travers une "B.G.T.", une Boucle du Genre Temps. Le Consortium  n'affronte pas les situations impliquant des êtres humains, mais celles qui font intervenir des objets, en l'occurrence des boules de billard, et apporte sa contribution à la résolution des paradoxes de la causalité. La situation étudiée par Thorne et ses étudiants leur a été proposée par le professeur Polchinski. Le professeur Polchinski leur décrit la situation suivante: il imagine un Trou de Ver converti en machine à voyager dans le temps, dont les deux bouches se trouvent à proximité l'une de l'autre dans notre univers et pas seulement dans l'hyperespace. Une boule de billard entre dans une bouche, remonte le temps et ressort par l'autre bouche avant d'être entrée dans la première, et se heurte elle-même plus tôt, s'empêchant donc d'entrer dans la première bouche, et de se heurter elle-même. Soit une variante du paradoxe du matricide pour objets inanimés. La question est: peut-on trouver des solutions aux équations qui autorisent la boule à se toucher elle-même sans s'empêcher de rentrer dans le trou de ver?

La réponse est: oui!

Voyons en quoi consiste cette expérience.

Kip Thorne et son équipe imaginent qu'ils ont réussi à maîtriser un Trou de Ver et à en faire une machine à voyager dans le temps. Ils lancent une boule de billard vers le Trou de Ver:

la boule part seule,

rentre dans une bouche du Trou de Ver

et ressort 15' plus tôt par l'autre bouche du Trou de Ver

pour se croiser elle-même avant qu'elle ne rentre dans la bouche.

La boule se touche elle-même plus jeune, dévie la trajectoire de son clone plus jeune, mais pas suffisamment pour l'empêcher d'entrer dans la bouche du Trou de Ver.

Par conséquent, le processus se poursuit et la logique est respectée.

Cette expérience de pensée conduit le Consortium à affirmer que l'univers n'autorise que les solutions aux équations qui sont auto-consistantes, logiques. Cette façon de voir les choses  est positive à deux niveaux. D'abord, parce que, si tout est permis, plus de physique possible. Ensuite, parce que la physique de la vie quotidienne a l'habitude de tomber sur des solutions mathématiquement mais non physiquement possibles, et elle n'en tient pas compte.

Par ailleurs, le Consortium a toujours trouvé une solution auto-consistante à une situation qui présente une solution paradoxale. Il se présente même parfois une infinité de solutions auto-consistantes, ce qui rappelle les situations rencontrées dans le monde quantique. Rappelons que l'objet de la physique quantique, ce sont les "ondes de probabilité", c'est-à-dire les chances de trouver tel "élément" à tel endroit ou à tel  moment. L'objet de la physique quantique n'a pas "une trajectoire" comme en physique classique, mais se "répartit" entre plusieurs trajectoires ayant chacune une probabilité d'être la bonne. C'est pourquoi on peut alors utiliser le calcul de Feynman de "somme sur les histoires" - histoire pour trajectoire - qui permet de déterminer les solutions les plus probables dans une situation donnée.

Cette méthode a un double mérite:

  • ce calcul tient compte des solutions auto-inconsistantes, dont la contribution est si faible qu'elle n'influence pas réellement le déroulement de l'expérience.

  • d'une certaine façon, la boule de billard est consciente de tous les chemins possibles pour elle. Or le possible, c'est le futur. Et il y a beaucoup plus de possibilités de trajectoires avec la présence de la bouche du Trou de Ver, c'est-à-dire d'une machine à voyager dans le temps, hypothèse de travail du Consortium, que sans elle. Kip Thorne dit qu'un calcul sur le comportement possible de la boule avant même la construction d'une machine à voyager dans le temps devrait nous indiquer si la construction de la machine sera possible ou pas, d'après le nombre de trajectoires possibles révélées par le calcul. C'est donc comme si le futur influençait le comportement de la boule. Le futur, c'est le fait qu'il y ait un Trou de Ver ou pas. Selon le nombre de trajectoires qu'est susceptible d'emprunter la boule, on peut déterminer l'existence future ou non d'un Trou de Ver: "C'est un trait tout à fait général de la physique quantique avec des Boucles du Genre Temps", souligne Kip Thorne.

Quant à lui, Igor Novikov propose une adaptation à la physique, du principe de la sélection naturelle: "S'il y a à un problème une solution non auto-consistante et une autre auto-consistante, la nature choisira l'auto-consistante".

Thorne et ses étudiants n'affrontent pas la question du libre-arbitre, quoiqu'elle fût au centre des critiques les plus vigoureuses après la publication de leur article: "Trous de ver, machine à voyager dans le temps et condition faible de l'énergie". Ils se contentent d'analyser le comportement d'objets simples inanimés voyageant dans le temps, telles des ondes électromagnétiques. Ils en concluent qu'aucun paradoxe insoluble n'y est lié et affirment même qu'il n'y aura aucun paradoxe insoluble pour aucun objet inanimé. 



Pour Kip Thorne, "Ces deux situations [celle où la boule de billard dévie tellement la trajectoire de son clone qu'il ne peut pénétrer dans la bouche du Trou de Ver, et celle où Kip Thorne remonte dans le temps tuer sa mère] n'ont aucun sens... il est donc totalement impossible que la boule de billard ou moi puissions remonter le temps et changer nos propres histoires". Mais Thorne affirme cela au nom de la cohérence des lois de la physique au niveau classique, pas au niveau quantique.



Or ne s'agit-il justement pas de le "démontrer". La solution que propose Kip Thorne consiste à tenir compte des "conditions initiales d'un phénomène: "Pour des conditions initiales exactes (position et vitesse de la boule) qui conduisent au paradoxe de Polchinski, existe-t-il d'autres trajectoires de la boule qui... soient des solutions logiquement cohérentes avec les lois de la physique qui gouvernent les boules de billard classiques?". Les calculs montrent qu'il existe deux prédictions privilégiées valables, ainsi qu'une infinité d'autres moins probables mais tout aussi valables. Mais Thorne et ses collaborateurs ne démontrent pas "physiquement" pourquoi la solution auto-cohérente est choisie plutôt qu'une solution auto-contradictoire. C'est comme répondre à la question: Pourquoi existons-nous? par "Parce que nous existons" ou plutôt par "Parce que nous ne pouvons pas ne pas exister", "Parce que tout porte à croire - les probabilités, mais quelles probabilités? - que nous ne pouvons pas ne pas exister". En réalité, Kip Thorne et son équipe répondent "par la bande" à la question soulevée par le professeur Polchinski. Les calculs de la physique quantique viennent à leur secours pour déterminer quelle solution sera choisie. Ils s'en satisfont, mais ils reconnaissent que les "lois de la gravité quantique nous cachent la réponse à la question de savoir si les Trous de Ver peuvent réellement être convertis en machine à remonter le temps". En fin de compte, Kip Thorne reste très sceptique.



Sur la question du déterminisme pur impliqué par la résolution des paradoxes du matricide et de la causalité, le Consortium émet une idée intéressante. Selon la physique classique, même hors des Boucles du Genre Temps, le monde est déterministe. "Ce qui se passe à un instant donné est entièrement déterminé par tout ce qui s'est passé avant (ou après)". Donc le voyage dans le temps ne s'oppose pas plus au libre-arbitre que ne le fait un événement classique.



Rappelons la différence essentielle entre le monde classique, macroscopique, et le monde quantique, sub-microscopique.





Mise en abîme temporel ou surimpression temporelle infinie

------------------------------------------------------



Le court-circuit a fait long feu, le déterminisme nous prive de liberté, ce qui est un comble pour ceux qui pensaient bénéficier, avec le voyage dans le temps, de la plus grande liberté d'action. Le prix à payer pour jouir à nouveau de notre libre-arbitre: la mise en abîme temporel, soit une surimpression infinie et une surcharge phénoménale qui semblent ne pouvoir être résolues, à leur tour, que par la multiplicité quantique des univers; mais n'anticipons pas.





Illustrons cette mise en abîme à travers l'expérience des boules de billard de Kip Thorne et de son équipe:



a) Rappelons que Kip Thorne et son équipe imaginent qu'ils ont réussi à maîtriser un Trou de Ver et à en faire une machine à voyager dans le temps. Ils lancent une boule de billard vers le Trou de Ver:

La boule part seule,

rentre dans une bouche du trou de ver

et ressort 15' plus tôt par l'autre bouche du Trou de Ver

pour se croiser elle-même avant qu'elle ne rentre dans la bouche.

La boule croisée n'est pas la même que la boule initiale, puisque celle-ci était seule.

La boule croisée rentre dans le trou

et ressort 15' plus tôt

pour suivre celle qui se croise elle-même.

Cette boule croisée n'est pas la même que la boule initiale qui était seule, ni que la seconde boule qui n'était croisée que par une seule boule.

La boule croisée par deux boules rentre dans le trou

et ressort 15' plus tôt

pour suivre celle qui suit celle qui se croise elle-même.

Cette boule croisée n'est pas la même que la boule initiale qui était seule, ni que la seconde boule qui n'était croisée que par une seule boule, ni que la troisième boule qui n'était croisée que par deux boules.

Et ainsi de suite à l'infini.

On a donc une boule croisée par une infinité d'elle-même.



Répétons l'expérience, mais avec Cloc cette fois, et illustrons le phénomène de surcharge ponctuelle:



b) Spirale infinie:

Cloc est seul ce 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705".

Il ne sait pas qu'il voyagera dans le temps un an plus tard.

Un an plus tard, il revient un an plus tôt, soit ce 16/10/1997 à 15h35'28,1578867219183457118552574627916122453040705".

Le Cloc qu'il retrouve à cette date est différent du Cloc initial qui était seul; en outre, ce Cloc retrouvé sait qu'il voyagera dans le temps un an plus tard, informé par son prochain lui-même.

Un an plus tard, retour un an plus tôt de ce Cloc.

Ce Cloc voyâgeur est différent du premier Cloc voyâgeur, car le premier Cloc voyâgeur ne savait pas qu'il voyâgerait, alors que lui le sait.

Il rencontre donc le Cloc seul initial accompagné du premier Cloc voyâgeur.

Le Cloc retrouvé est différent du Cloc initial qui était seul, et du second Cloc visité accompagné d'un visiteur, puisqu'il est accompagné de deux visiteurs.

Le troisième Cloc voyâgeur ne peut pas être le même que le deuxième puisqu'il s'est vu accompagné de deux visiteurs alors que le précédent ne s'était vu accompagné que d'un visiteur; ce troisième Cloc voyâgeur viendra donc s'ajouter aux deux autres

et ainsi de suite à l'infini.

Chaque étape de la spirale est marquée par une information supplémentaire par rapport à l'étape précédente.

Le raisonnement procède "par défaut": "x ne peut pas être x-1".



Voilà le prix à payer pour conserver toute liberté d'action: une superposition au même instant et au même endroit d'une infinité de répliques du voyageur du temps. Précisons qu'il ne s'agit pas ici de l'infinité de visites de Cloc au même endroit au même instant que nous avons évoquée dans les "gammes", car dans ce cas-là, Cloc a à chaque visite un âge différent, tandis que le phénomène de surimpression infinie voit se répéter le même Cloc au même âge. Si l'on combine les deux situations, le mot encombrement phénoménal devient un euphémisme. En effet, imaginons ce que serait la combinaison de la surimpression temporelle et d'un retour infini du même voyageur du temps ou d'une infinité de voyageurs du temps au même instant, ou même de la surimpression temporelle et d'une infinité de voyageurs du temps qui reviennent une infinité de fois au même instant! C'est avec de telles conjectures que les arguments du mathématicien Cantor pour prouver l'existence de divers degrés d'infinis prennent toute leur force. A moins que de telles conjectures n'hypothèquent la théorie des nombres transfinis!



William Tenn est sans doute l'auteur qui a le mieux approché la description du phénomène de la surimpression temporelle. Dans "Moi, moi et moi", Tenn offre une belle illustration de ce que pourrait être une figure fractale dans le cadre d'un déplacement dans le temps. Il y raconte les aventures d'un clochard qui est engagé par un savant solitaire pour tester la fiabilité de sa machine à voyager dans le temps. Le professeur envoie le clochard bougon au crétacé après lui avoir donné le billet de 100 dollars qu'il veut toucher avant de partir "au cas où" l'expérience tournerait mal. Compte-t-il soudoyer un tyrannosaure? Le clochard a pour mission de soulever une pierre, de photographier ce qu'il y a dessous et de la remettre en place. L'expérience se passe bien et notre voyageur du temps est rapatrié au 20è siècle. Seulement voilà, le savant solitaire est maintenant depuis toujours marié. Seule explication, le fait de soulever la pierre a provoqué une modification du cours des événements. C'est une nouvelle illustration de la sensibilité d'un système à ses conditions initiales, déjà évoquée par Ray Bradbury. Le savant renvoie donc notre clochard dans le passé pour remettre correctement en place le rocher qu'il a soulevé. Seulement voilà, lorsqu'il arrive au crétacé, le clochard se voit lui-même en train de soulever la pierre. Il revient au 20è siècle, retourne au crétacé, et se voit lui-même en train d'essayer de s'empêcher de soulever la pierre...

La nouvelle de Tenn est un petit bijou de finesse et d'humour; aucun résumé ne peut avoir sa force. Le lecteur la trouvera parmi beaucoup d'autres excellentes nouvelles dans le recueil "Histoires de voyages dans le temps".

Néanmoins, il faut admettre que William Tenn ne fait qu'approcher le principe de la "surimpression temporelle". Dans sa nouvelle, c'est à l'occasion de chaque nouveau bond dans le passé du clochard que celui-ci se découvre démultiplié; or, notre analyse nous a montré qu'un bond dans le temps qui laisse son libre-arbitre au voyageur du temps provoque une démultiplication à l'infini du lieu et de l'instant où le voyageur aboutit.



Un très bon exemple de surimpression temporelle dans la littérature est fourni par la nouvelle "Du temps et des chats" de Howard Fast.



La surimpression peut être considérée, soit comme un court-circuit avec une infinité d'étincelles, soit comme une démultiplication infinie du voyageur du temps au même endroit et au même instant. Mais on pourrait se demander si la surimpression peut réellement se produire.

Mais nous avons vu que la possibilité du déplacement dans le temps "à volonté" implique la simultanéité de toutes les époques; autrement dit, "passé = présent = futur", ou plutôt, ni passé ni futur n'ont plus de sens, il n'y a plus que des "présents", probablement une infinité de présents correspondant à tous les instants de l'histoire de l'univers, flottant dans un hyperespace ou même dans notre propre dimension.

Or, la surimpression infinie exige la réintroduction de la distinction entre passé, présent et futur, parce que le libre-arbitre implique une indétermination, une incertitude - un indéfini qui rappelle les potentialités de l'infini, il est d'ailleurs question de surimpression temporelle "infinie" - qui ne s'accommodent pas de la fixation des époques.

Puisqu'elle contredit le principe de la simultanéité, la surimpression temporelle contredit une condition de la possibilité du déplacement dans le temps. Si bien que le voyage dans le temps semble impossible dans son cas.

Il nous faut trouver un autre moyen de préserver au voyageur du temps son libre-arbitre.





Démultiplication

------------



Si le déterminisme absolu peut constituer la façon la plus économique de corriger la surimpression temporelle, son pendant le plus naturel est la démultiplication à l'infini de l'univers. La seule façon, apparemment, d'échapper à la surimpression temporelle infinie et d'éviter les paradoxes du déplacement dans le temps tout en conservant le libre-arbitre du voyageur du temps, c'est de disposer d'une démultiplication à l'infini des époques dans lesquelles intervient un voyageur du temps. Ainsi, dans le cas du paradoxe du grand-père, doivent coexister les deux issues: celle où l'aïeul est seul et celle où il est tué par Saint-Menoux. Plus, éventuellement, celle où Saint-Menoux le salue sans le tuer, règlant son sort à Napoléon; celle où un autre voyageur du temps le rencontre, plus celle où un autre voyageur du temps surprend ou empêche Saint-Menoux de tuer son grand-père, plus...





Extension de la thèse du chapitre relatif à instantanéité et

simultanéité
-------------------------------------------

--------



Notre première démonstration nous a montré que la possibilité de voyager dans le temps implique la réalisation de "tout le devenir" de tout être au même instant et à chaque instant. Nous avons vu les risques d'encombrement phénoménal que cette situation génère. Tous les événements possibles doivent se produire simultanément, ôtant toute liberté à l'homme de décider de son destin. Le prix à payer pour recouvrer le libre-arbitre, c'est la surimpression infinie. Mais dans ce cas, il n'y a plus seulement risque d'encombrement, il y a réellement encombrement phénoménal. Où caser toutes ces époques et leurs clones? La seule façon de se tirer d'affaire, c'est de disposer de branches d'univers parallèles pour chacune des éventualités envisageables. Nous avons vu que les spécialistes de la physique quantique ont imaginé la possibilité que plusieurs univers existent en même temps dans des dimensions différentes.



Ainsi, pour Martin Gardner, la seule façon de résoudre les paradoxes impliqués par le déplacement dans le temps, c'est à travers l'existence de mondes multiples. Le premier auteur de science-fiction à avoir exploité cette possibilité est D.R. Daniels en 1934 avec "Branches of time".



Origène dans l'Antiquité et Averroès au Moyen Age ont déjà émis l'hypothèse d'un monde éternel où tout ce qui est possible se réalise, dans un éternel retour des choses que Nietzsche réactualisera et que Cantor, Borges et les spécialistes des nombres-univers développeront à leur façon.

Ainsi Jorge Luis Borges affirme que "Le nombre des atomes qui composent le monde est, bien que démesuré, limité, et susceptible en tant que tel d'un nombre limité (bien que démesuré lui aussi) de combinaisons. En un temps infini, le nombre des combinaisons possibles doit nécessairement être atteint et l'univers doit forcément se répéter. A nouveau tu naîtras d'un ventre, à nouveau ton squelette grandira, à nouveau cette même page arrivera entre tes mains identiques, à nouveau tu suivras toutes les heures jusqu'à celle de ta mort impensable. C'est sous cette forme que se présente ordinairement ce raisonnement, de son prélude insipide jusqu'à sa fin menaçante et immense".

Dans "L'expérience", Fredric Brown fait écho au texte de Borges:

"S'il existe un nombre infini d'univers, toutes les combinaisons possibles doivent exister. Ainsi chaque événement est vrai quelque part... Il y a un univers dans lequel Huckleberry Finn est une véritable personne accomplissant très précisément ce que Mark Twain a imaginé. Il existe aussi un nombre infini d'univers dans lesquels Huckleberry Finn accomplit chaque variation possible des actes que Mark Twain aurait pu décrire... Et une infinité d'univers où les situations sont telles que nous ne pouvons ni les décrire, ni même les imaginer."

Toute la question est alors de savoir si ces univers peuvent communiquer entre eux et comment ils peuvent le faire.

L'existence des Trous de Ver" ou des Fontaines Blanches, qui sont l'envers des Trous Noirs, peut nous être ici bien utile.



"Mais il est évident que ces hypothèses détruisent notre vision traditionnelle et linéaire du temps. A la place, on voit apparaître des sortes d'arborescences. Autour d'un tronc central, se dressent une multitude de branches qui constituent autant d'univers parallèles. Le temps cesse d'être un fleuve pour se transformer en une sorte de delta avec ses biefs, ses bassins ou ses bras morts...", affirme Stan Barets dans le "Science-fictionnaire". Reste la question de savoir de quel point de vue est déterminé le tronc central. N'est-il pas relatif?



(Borges, nombres-univers, moi et l'infini dans le temps...)





Démultiplication quantique

----------------------



C'est en 1957 que l'hypothèse de la démultiplication des branches d'univers va prendre tout son poids.

C'est en effet en 1957 que le physicien américain Hugh Everett III propose, dans le cadre de la physique quantique, la théorie des univers multiples, qui forment un multi-univers. Chaque événement qui peut se produire physiquement se produit réellement dans un certain univers. Au niveau du multi-univers, la théorie quantique est déterministe, car le calcul détermine la probabilité de réalisation de chaque possibilité, en prévoyant la proportion des univers où cette possibilité se manifeste.



Mais la physique quantique dit aussi que des Boucles du Genre Temps fermées "pourraient abonder aux échelles submicroscopiques" et que les particules subatomiques qui nous composent pourraient très bien accomplir de perpétuels voyages dans le temps, à des durées, il est vrai, de l'ordre du temps de Planck, soit 10-43s. Or, à ce niveau de la réalité, la physique quantique introduit une incertitude qui entraîne un indéterminisme fondamental, qui permet d'éliminer certains paradoxes. Cet indéterminisme est lié aux "probabilités", ou plutôt à l'amplitude de probabilité de trouver l'objet d'observation, le quanton, à un endroit ou à un moment précis. Nous avons vu que contrairement à ce qui se passe à notre échelle, où un objet se trouve à un endroit précis à un moment précis, le quanton, à l'échelle submicroscopique, peut se trouver à plusieurs endroits en même temps ou à un endroit précis à plusieurs instants. Par conséquent, la réalité au niveau du quanton offre un plus grand éventail de possibilités qu'à notre échelle et permet d'envisager la coexistence de situations qui seraient paradoxales à notre niveau de réalité. Reste à étendre les possibilités offertes à l'échelles submicroscopique à l'échelle macroscopique pour voir Sonia, Saint-Menoux, le critique d'art du futur et les autres voyageurs du temps commettre leurs actes problématiques "sans problème".







Paradoxe du matricide

-----------------



Revenons donc à notre échelle et imaginons que les univers parallèles issus de la démultiplication de l'univers au moment où le voyageur du temps commet son acte, sont reliés entre eux par un Trou de Ver. On a donc un seul espace-temps complexe, un multi-univers, dont les univers sont reliés les uns aux autres. Dans l'univers de Sonia, son grand-père et sa grand-mère se marient. Dans celui où elle bifurque, non, car elle a empêché leur union. Donc, estiment Xavier Deutsch et Michael Lockwood, le principe d'autonomie est respecté car l'action de Sonia n'entrave pas sa liberté d'action - c'est sans doute dans ce sens que Kip Thorne parle d'influence du futur sur le passé. Pour ma part, je pense qu'il serait préférable de dire que sa liberté d'action ne rend pas caduque son action?

Par ailleurs, on se rend compte que la modification de son propre avenir par un voyageur du temps qui s'est rencontré lui-même, comme Asimov en évoque la possibilité dans "La fin de l'Eternité", trouve ici un terrain d'expression qui élimine tout paradoxe. La modification n'est pas effectuée dans la propre ligne d'univers du voyageur du temps mais dans une ligne d'univers parallèle et en tous points identique jusqu'alors: une sorte d'univers-clone, d'univers-jumeau.



De même, le paradoxe décrit dans la nouvelle "Experiment", de Fredric Brown, est résolu. Si le professeur Biggles décide de ne pas placer l'objet dans la machine du temps à 3h pour qu'il en sorte à 2h55', et que l'objet en sort quand même à 2h55'- variante de la situation de l'antitéléphone à tachyons de Newcomb -, cela veut dire que dans une moitié des univers, l'objet apparaît à 2h55' malgré que le professeur ne le place pas sur la machine à 3h, tandis que dans l'autre moitié des univers, l'objet n'apparaît pas à 2h55', en conformité avec la logique. Chaque univers A contient deux objets avec l'un plus vieux que l'autre de 5'. Dans l'autre moitié des univers, les univers B, l'objet n'apparaît pas à 2h55'. Le professeur le met donc sur la machine à 3h et il apparaît dans un univers A où il rencontre un autre lui-même plus jeune de 5'. Dans l'univers A, l'objet surgit du "néant". Dans le B, il disparaît "à jamais". C'est l'interprétation qu'en proposent Xavier Deutsch et Michael Lockwood. Mais qu'est-ce qui empêche l'objet de revenir en B?

Quant à Sonia, si elle veut revenir à son univers de départ, se retrouvant au moment de son départ, elle ne peut le faire que dans un autre univers. Dans l'univers originel, elle demeure seule car "l'univers parallèle, connecté d'une manière différente de celle du paradoxe précédent, l'empêche de faire de même dans son univers original".

C'est ici que l'on voit la distance entre la théorie de la séparation de l'univers à chaque situation de choix quantique, et l'interprétation qui veut que ces univers soient connectés entre eux. S'ils sont connectés, pourquoi peut-on voyager dans un sens et pas dans l'autre? Qu'est-ce qui détermine l'accès ou non à tel ou tel univers? Inversement, pourquoi certains univers ne sont-ils pas accessibles? Qu'est-ce qui détermine le caractère originel d'un univers, c'est-à-dire l'univers à partir duquel va s'opérer la démultiplication? En tout cas, la connexion entre univers, quelle que soit sa forme, semble indispensable à la possibilité de résoudre les paradoxes du matricide et de la connaissance, car il faut bien que le voyageur du temps passe d'une branche à l'autre pour commettre ses actes. Mais alors, on retombe dans la situation du déterminisme absolu, avec tout instant passé et tout instant futur toujours déjà réalisés, puisque le voyageur du temps doit pouvoir y avoir accès à tout moment. Et nous n'évoquons même pas le déterminisme probabiliste par pléthore des univers qui couvrent toutes les possibilités d'événements réalisables, comme le suggère Fredric Brown. S'il n'y a pas de connexion entre les branches d'univers, il faut qu'à chaque séparation et saut dans le temps du voyageur du temps, l'univers se sépare infiniment avec toutes les possibilités passées et futures impliquant les décisions "libres" du voyageur du temps - que le voyageur aboutisse dans un univers en retard ou en avance sur le sien. Dans ce cas, il n'y a pas passage d'un univers à l'autre, mais réalisation de toutes les possibilités d'événements à tout moment. La séparation des branches d'univers est contemporaine de l'événement qui en est à l'origine, et simultanée, et ne nécessite aucune connexion entre branches d'univers. Mais là encore, le déterminisme resurgit.





Collection ou connexions?

---------------------



Dans cet ordre d'idées, considérons l'interprétation de la théorie des univers multiples par le philosophe David Lewis: "Les branches ne sont séparées ni dans le temps ni dans l'espace, mais d'une autre façon", dit Lewis. Le héros retourne dans le passé dans une autre branche d'univers et tue son grand-père, préservant sa naissance dans l'univers originel. David Lewis précise qu'il ne s'agit pas d'une histoire où le meurtre se produit ET ne se produit pas. Il se produit effectivement, mais dans une autre branche d'univers. Ce qui permet de satisfaire à l'obligation de choix entre tuer ou non le grand-père. Ce n'est pas plus une histoire où le héros change le passé. Les événements des deux branches d'univers concernent bien la période où arrive le voyageur du temps, mais les deux branches coexistent d'une certaine façon sans interaction. Il reste vrai que durant le temps personnel du héros, même après le meurtre, le grand-père vit dans une branche et meurt dans l'autre.





Paradoxe de la connaissance ou de la causalité

------------------------------------------



Le paradoxe de la causalité trouve tout naturellement aussi une solution dans le cadre de la théorie des mondes multiples.

Dans l'univers originel, l'artiste a réellement "créé" ses toiles. Le critique du futur transporte les photos de ces toiles dans le passé d'un autre univers. Là, les toiles sont "copiées" et le peintre obtient quelque chose pour rien. Mais comme les toiles résultent d'un véritable effort créatif, quoique dans un autre univers, il n'y a pas de paradoxe.

David Lewis affirme pour sa part que chaque événement peut s'expliquer, possède une cause dans la boucle causale, mais que la boucle totale n'est pas explicable, et il justifie ce mystère de la façon suivante, qui a le mérite de la modestie: "Etrange! Mais pas impossible... Presque tout le monde admet que Dieu, ou le Big Bang, ou tout le passé infini de l'univers, ou l'annihilation d'un atome de tritium, est sans cause et inexplicable. Alors si de telles choses sont possibles, pourquoi pas aussi les inexplicables boucles causales qui apparaissent lors d'un voyage dans le temps". Notons que cette façon de présenter les choses présuppose évidente la possibilité de voyager dans le temps, David Lewis se contentant de justifier l'existence des paradoxes. Or le grand paradoxe n'est-il pas la possibilité même du voyage dans le temps?





Séparation symétrique

-----------------



Retrouvons une dernière fois Sonia, l'héroïne de Xavier Deutsch et Michael Lockwood, pour illustrer une hypothèse de ses deux concepteurs dans le cadre de la théorie de la démultiplication de l'univers.

Sonia a un petit ami qui s'appelle Stéphane. Sonia part dans le temps rendre visite à ses grands-parents. Stéphane ne participe pas au voyage de son amie Sonia. Dans la moitié des univers, B, elle entre dans la machine et n'en ressort jamais. Dans ce cas, la séparation est définitive du point de vue de Stéphane. Mais du point de vue de Sonia, il n'y a pas de séparation, simplement elle devra partager Stéphane avec le double d'elle-même qu'elle va rencontrer dans l'univers A. Deutsch et Lockwood font remarquer que plus Sonia se réplique, plus Stéphane a de risques de la voir disparaître de son univers. Mais en réalité, il semble que la probabilité de séparation soit toujours la même, soit une chance sur deux de la perdre,

                                                                       

17

puisque chaque séparation implique un nouvel univers originel. A chaque séparation, l'univers a son double où la séparation ne se produit pas. Or, Deutsch et Lockwood se demandent si ce n'est pas ce risque accru de séparation qui explique le fait que nous n'ayons pas encore eu la visite de voyageurs du temps. Selon eux, nous avons la malchance d'évoluer dans une mauvaise branche d'univers. Voilà un argument très intéressant.







Liberté?

----



La démultiplication des branches d'univers a résolu une partie des problèmes liés au déplacement dans le temps: la surimpression infinie de l'instant investi par le voyageur du temps. Mais une question essentielle n'a pas été résolue. La démultiplication temporelle, dans le cas d'un voyage dans le temps instantané ou de

                                                                       

18

permet-elle réellement d'échapper au déterminisme absolu? Puisque les époques sont simultanées, tout est toujours déjà accompli. De plus, les possibilités d'événements sont figées. En effet, si je peux aller tuer mon grand-père dans un autre univers, personne ne peut venir le tuer dans mon univers, puisque j'existe. Y a-t-il même un accès à mon univers? Oui, mais à la condition de ne pas venir y faire n'importe quoi. Je ne peux donc revenir dans mon univers initial qu'à certaines conditions. Ce qui interdit tout libre-arbitre.

Par ailleurs, pour pouvoir effectuer plusieurs voyâges à partir du même univers, il faut qu'il soit démultiplié à concurrence du nombre de voyâges, et donc potentiellement à l'infini; dans le cas contraire, un seul voyâge est possible, puisque tout autre univers est forcément différent et que je ne peux revenir dans celui de départ.

Le voyâge coûte cher: l'exil éternel dans un univers clone de notre univers d'origine, ou la démultiplication à l'infini de cet univers original. Mais dans tous les cas, les événements sont fixés à l'avance, à vrai dire depuis toujours.

Le comble, c'est que si Cloc ne peut revenir dans son univers, c'est qu'il continuera à exister dans un univers où il n'a pas pu apparaître naturellement puisqu'il y a tué son grand-père.

Au fond, la démultiplication des univers ne fait que déplacer le problème de la surimpression temporelle infinie. On n'échappe pas à l'infini.

Soit il y a possibilité de passage à volonté d'une branche d'univers à l'autre, et le paradoxe du grand-père n'est pas résolu puisque quelqu'un peut venir tuer mon grand-père dans ma branche d'univers; soit il n'existe pas de "ponts" entre les différentes branches, mais alors la démultiplication temporelle s'assimile à l'accomplissement de tous les possibles dans un étalement déterministe, et il n'est plus question de voyage dans le temps.

Mais par ailleurs, de la même façon qu'un espace-temps à quatre dimensions est fait d'une infinité d'espaces-temps à trois dimensions, un espace-temps à cinq dimensions est fait d'une infinité d'espaces-temps à quatre dimensions. De ce point de vue, la démultiplication temporelle semble ne poser aucun problème, car toutes les branches d'univers pourraient coexister sans provoquer d'encombrement phénoménal.

La possibilité de déplacement dans le temps à volonté et les paradoxes qu'elle implique peuvent y trouver refuge.

On pourrait enfin faire remarquer qu'en réalité, je tue dans une autre branche d'univers un "clone" de mon grand-père, et qu'il ne s'agit donc pas d'un parricide. L'action est dénaturée, le paradoxe n'est pas résolu.









Bilan

-



Paul Watzlawick, dans "La réalité de la réalité", résume bien la situation qui consiste à aller dans le futur pour le connaître:

soit le futur est prédéterminé et nous sommes obligés de faire ce qui doit advenir: c'est le déterminisme absolu,

soit le voyageur du temps intervient et  modifie le futur qui n'est alors plus celui dans lequel il est allé chercher l'information. Il doit donc aller se renseigner dans ce nouveau futur et ainsi de suite à l'infini: c'est la mise en abîme temporelle ou surimpression infinie illustrée par William Tenn dans "Moi, moi et moi",

soit il existe des multi-mondes, autant de branches d'univers que d'événements réalisables, mais alors nous ne sommes pas directement bénéficiaires des informations du futur, seul notre double l'est, dans une copie de notre branche d'univers.







Intermède philosophique

-------------------



Mais au fond, pourquoi se formaliser des situations paradoxales provoquées par un déplacement dans le temps? Le monde lui-même n'est-il pas fondamentalement paradoxal?





Origine du temps

------------



Si l'on essaie d'apporter une réponse logique à la question de l'origine du monde, que constate-t-on?

Comme le philosophe Emmanuel Kant

antinomies de la raison pure

Zénon



Nature du temps

-----------



La nature du temps reflète évidemment cette contradiction fondamentale. 1 et -1, statique et dynamique

paradoxe du mouvement de Zénon

Le temps est la seule façon pour une chose d'être différente d'elle-même.









Conclusions

-------



Nous arrivons au terme de notre étude. La longue analyse des implications liées au déplacement dans le temps à volonté doit laisser la place à une synthèse claire et précise de nos observations et démonstrations. Elle prendra la forme d'une liste des arguments défavorables à la possibilité de se déplacer dans le temps, et d'une liste des éléments qui plaident en sa faveur.





Arguments "contre"

--------------



Recensons les arguments qui rendent improbable ou impossible le voyage dans le temps à volonté à n'importe quelle époque.



Nous avons vu que le temps donne son sens à l'hypothèse du déplacement dans le temps, mais que si le voyage dans le temps est possible, il ôte son sens au temps, ce qui a pour conséquence de rendre "insensé" le déplacement dans le temps.

Pour Christian Grenier, "le voyage temporel souffre de certaines contradictions avec la logique la plus élémentaire, ce qui l'écarte du domaine scientifique".

"Une barrière se dresse, celle de la logique voulant qu'on ne puisse à la fois être ici ou ailleurs", complète Jacques Van Herp.

La simple possibilité du voyage dans le temps est un paradoxe et modifie le cours des événements, contrairement à ce que pense Paul Watzlawick: "Il revient en arrière de quinze ans (ce qui lui prend, disons, quelques minutes), arrête la machine et en sort, se remettant ainsi dans le cours du temps... en un point où il a lui-même quinze ans. S'il se contente de regarder alentour sans susciter aucun effet - à savoir, sans s'insérer d'aucune manière dans la causalité par une action ou une communication - il ne se produira rien d'étrange. Mais dès qu'il commencera à interagir, des conséquences amusantes et déconcertantes s'ensuivront." Justement, par sa simple présence, le voyageur du temps interagit, comme aurait pu le découvrir lui aussi Ray Bradbury s'il avait été jusqu'au bout de son raisonnement, ne voyant pas qu'une apparition soudaine dans le monde est au moins aussi perturbatrice que le fait d'écraser un papillon.

Les paradoxes provoqués par un acte volontaire ou involontaire du voyageur du temps constituent bien sûr un nouvel argument contre la possibilité du déplacement dans le temps: paradoxes du matricide et de la connaissance en sont les meilleurs exemples.



Les arguments les moins puissants contre la possibilité de voyager dans le temps consistent à dénigrer l'intérêt du déplacement dans le temps parce que le court-circuit temporel, le déterminisme absolu, la surimpression infinie ou la démultiplication temporelle n'offrent pas de perspectives très réjouissantes à l'individu qui veut explorer le passé ou le futur.



Les frères Igor et Grichka Bogdanoff ont proposé un argument plus intéressant: "Si le voyage vers le passé avait été inventé quelque part dans le futur, nous aurions déjà sûrement reçu la visite d'un homme de l'avenir". C'est un argument qu'a avancé Stephen Hawking en disant que "La meilleure preuve qu'un voyage dans le temps est impossible est que nous n'avons pas été envahis de hordes de touristes du futur", argument que j'ai développé indépendamment dans un article au milieu des années 80 en mettant en avant la perte d'identité du temps inhérente à la possibilité de se déplacer dans le temps.

Hawking pense aussi que la nature a horreur des machines à remonter le temps. C'est une idée qu'il développe dans sa conjecture de "protection chronologique" selon laquelle les lois de la physique interdisent les machines à remonter le temps: "chaque fois que quelqu'un essaye de faire une machine à remonter le temps, et quel que soit le dispositif utilisé à cet effet (un trou de ver, un cylindre en rotation, une "corde cosmique", ou quoi que ce soit d'autre), juste avant que le dispositif ne devienne une machine temporelle, un faisceau de fluctuations du vide le traverse et le détruit". Ce qui correspond en somme à un court-circuit temporel. Hawking a démontré que des fluctuations de champs quantiques deviendraient infinies au voisinage d'une bouche de trou de ver - l'argument de la surimpression temporelle infinie démontre la même chose par un raisonnement de logique pure -, empêchant la formation de Boucles du Genre Temps ou détruisant le voyageur qui s'approcherait d'une Boucle du Genre Temps. Hawking dit avec humour que son hypothèse "permet de garder le monde sûr pour les historiens".

Les frères Bogdanoff avancent un autre argument pour infirmer la possibilité du voyage dans le temps: "L'entropie (c'est-à-dire le désordre) d'un système ne peut aller qu'en augmentant; autrement dit, ce que nous nommons "écoulement du temps" n'est qu'une fonction directe de l'entropie à laquelle tous les systèmes (biologiques ou non) sont soumis. Comme il est impossible de réduire l'entropie d'un système, il serait également impossible d'inverser le temps et, a fortiori, de voyager dans le passé".

Revenons enfin à l'hypothèse de la démultiplication temporelle pour constater qu'elle nous révèle par l'absurde l'importance du principe d'économie de la nature et la pertinence et l'actualité de la remarque de Leibniz selon laquelle nous évoluons dans "le meilleur des mondes possibles". Il semble qu'un univers sans possibilité de se déplacer dans le temps soit le meilleur des mondes possibles, car il présente l'optimum d'existence.





Arguments "pour"

------------



Recensons à présent les arguments qui rendent possible ou même probable le voyage dans le temps à volonté à n'importe quelle époque.

Contre l'argument de Jacques Van Herp, on peut faire remarquer que la barrière de la logique voulant qu'on ne puisse à la fois être ici ou ailleurs, n'est en réalité qu'un axiome, sur quoi "repose" la logique. Un axiome ne peut être démontré. Il n'enfreint donc pas la logique. Et puis, Kurt Gödel, avec son théorème d'incomplétude, n'a-t-il pas ouvert la voie à une remise en question fondamentale de la logique?

Contre l'argument de Stephen Hawking mettant en avant les risques de fluctuations infinies de champs quantiques lors de la création de la machine à voyager dans le temps, David Deutsch et Michael Lockwood répondent que les infinis, dont on sait qu'ils sont la hantise des physiciens et des mathématiciens, révèlent simplement une insuffisance de la théorie.

Deutsch et Lockwood infirment aussi l'argument d'Hawking sur l'absence d'invasion de hordes du futur car le trou de ver ne permettrait de remonter dans le temps que jusqu'à l'époque de sa création et pas au-delà.

Deutsch et Lockwood répondent aussi qu'il existe peut-être actuellement des Boucles du Genre Temps exploitées par une civilisation extraterrestre, mais que celle-ci n'a pas forcément envie de venir nous voir dans son passé. Et même alors, ils n'aboutiraient que dans certaines copies de notre passé. Et puis, le voyageur du temps n'est pas obligé de crier sur tous les toits qu'il est un voyageur du temps.

Pour Deutsch et Lockwood, "Si la théorie des univers multiples est exacte, alors toutes les objections habituelles au voyage temporel sont fondées sur des modèles erronés de la réalité physique. Quiconque rejette l'idée d'un voyage temporel doit formuler un nouvel argument, scientifique ou philosophique".

Hawking lui-même est revenu sur ses premières déclarations et a récemment affirmé dans la presse qu'il envisageait à présent la possibilité de voyager dans le temps.

Contre l'argument "entropique" des frères Bogdanoff, on objectera que rien n'interdit une inversion locale de l'entropie, l'existence de la plus infime particule en est un témoignage; or il s'agit précisément, dans le cas du voyage dans le temps, d'une modification locale du temps, soit le temps propre du voyageur.

L'affirmation d'Einstein: "Nous, qui croyons en la physique, savons tous que la distinction entre passé, présent et futur n'est qu'une illusion, même si elle est tenace", vient renforcer l'idée que le temps n'a pas l'identité que nous lui accordons, et donne donc du poids à l'hypothèse de la possibilité du déplacement dans le temps.

L'interprétation de John Wheeler des diagrammes de Feynman va dans le même sens. Rappelons que cette interprétation consiste à voir le réel comme une seule ligne d'univers extrêmement complexe déjà réalisée, c'est-à-dire pour laquelle ne s'écoule pas le temps. Le sentiment d'écoulement du temps serait une illusion liée à notre perception du réel.

Nous pensons ici au dessinateur Escher qui est parvenu à représenter des "figures impossibles" dont son fameux "Mouvement perpétuel". C'est un peu ce qui se produit avec les représentations mathématiques du réel et les récits de voyage dans le temps.

Pour Rudy Rucker, les raisons d'écarter le voyage dans le temps reposent sur un a priori: "Il ne peut apparaître de contradictions dans le monde; le voyage dans le temps et le voyage SL (supraluminique) conduisent à des contradictions; donc il ne peut y avoir de voyage dans le temps et de voyage supraluminique dans notre monde".

Cet argument présente pour Rucker trois points faibles.

1. Le monde lui-même est paradoxal

2. Il pourrait exister une "police du temps" qui empêcherait l'utilisation de la machine pour créer un paradoxe.

3. Il existe la possibilité des univers multiples, même si "... bien sûr, strictement parlant, un voyage dans un monde parallèle n'est pas du tout un voyage dans le temps".

"A un certain niveau, ces paradoxes sont un peu plus que des divertissements intellectuels".

Rucker ajoute que la relativité affirme qu'il n'y a pas de temps ni d'espace absolu. Or le voyage dans le temps exige un temps et un espace absolus. Par conséquent, le voyage dans le temps semble d'emblée interdit par la physique moderne. Mais outre le fait qu'il existe des lois de transformation qui permettent de passer d'un système de coordonnées, ou référentiel, à un autre, la relativité autorise le voyage dans le passé jusqu'à une certaine limite, et dans le futur de façon illimitée, comme nous l'avons vu à la section science. La relativité se contredirait-elle elle-même?

Pour David Lewis, le voyage dans le temps est possible. Les paradoxes prouvent seulement que le monde où le voyage serait possible serait de manière fondamentale plus étrange que celui que nous croyons être le nôtre. Il est le plus ardent défenseur d'un auteur comme Heinlein dont il trouve le récit "Vous, les Zombies" auto-consistant.

Ce qui pose problème dans le voyage dans le temps, ce sont les paradoxes qu'il génère. Un raisonnement par l'absurde consiste à dire: le réel ne peut s'accommoder des paradoxes; or le réel existe; donc les paradoxes n'existent pas et le voyage dans le temps non plus. Mais le réel n'est cohérent qu'en apparence, il est fondamentalement irrationnel, comme nous le suggèrent la physique quantique, et la pure logique elle-même. Donc, la possibilité du déplacement dans le temps est en parfait accord avec la réalité.

L.M. Krauss, dans "The physics of Star Trek", émet un argument de bon sens: "Tant que ce n'est pas réfuté par le cadre scientifique, cela reste du domaine du possible". C'est ce que souligne aussi J. Gribbin dans "In search of the edge of time".

"Quel que soit le type de courbure d'espace-temps, les équations d'Einstein nous disent exactement quelle distribution de matière et d'énergie doit se manifester. La question est alors: un tel type de distribution de matière et d'énergie est-il possible?".

Enfin, admettons que la possibilité du voyage dans le temps constituerait une explication pratique aux disparitions mystérieuses qui se sont produites tout au long de l'histoire.





Epilogue

----



Nous sommes arrivés au terme de notre enquète et il nous faut en tirer les conclusions.



Les grandes menaces

---------------



Rappelons quelles sont les menaces majeures pour l'univers:

1. La Collision temporelle

2. La Collision spatiale de bébés-univers, selon la formule d'Hawking

3.Le Big Crunch 

4. La Modification du temps combinée à une absence de démultiplication temporelle, ce qui peut avoir comme conséquence que l'on n'a jamais existé, effacé de notre propre histoire, à moins bien sûr d'exister dans un temps antérieur à la modification.





REFUGE?

-----



Il semble que l'humanité n'ait pas de possibilité d'échapper au Big Crunch, et a fortiori à la collision temporelle. On voit en effet mal l'humanité se réfugier toute entière dans le passé, ce qui ne ferait que retarder l'échéance de la Collision, à moins de retourner éternellement dans le passé, sans parler de la question de savoir "où" elle irait se réfugier. Quant à transférer toute l'humanité au-delà du point critique, cela n'a pas de sens. Le Big Crunch et la collision temporelle se produiront inévitablement puisqu'ils sont liés à l'univers, ils n'ont de sens que par rapport à lui. La seule solution consisterait à quitter le mouvement inertiel de l'univers, autrement dit à "ne plus exister"!



En tout cas, si le voyage dans le temps est possible et si la collision temporelle doit se produire, nous pouvons être assurés qu'elle ne provoque pas de "réaction en chaîne" du même type que celle de l'épisode "All good things" de Star Trek. Si c'était le cas, nous n'existerions plus, ou pas, et ces lignes n'auraient jamais été écrites. Collision temporelle et voyage dans le temps semblent donc s'exclure mutuellement.

Mais ce n'est pas tout, l'ironie du sort veut que l'espoir d'une issue à la collision temporelle à travers le voyage dans le temps peut nous... conduire à une collision temporelle, ponctuelle certes, mais dramatique, avec le court-circuit temporel.



La démultiplication des branches d'univers ne constitue pas une solution à la menace d'une collision temporelle car la collision est "absolue", hors-branches, c'est un autre cours du temps, donc elle menace toutes les branches d'univers à la fois.





Site web créé avec Lauyan TOWebDernière mise à jour : mardi 13 septembre 2016