Perception du temps

Le thème du "voyage dans le temps" est peut-être le thème de fiction le plus absurde, mais sûrement le plus stimulant pour les neurones.

La fin du 19è siècle et le début du 20è siècle constituent un tournant dans l'histoire de la pensée scientifique et philosophique.

Si la notion de temps a suscité les interrogations des plus grands penseurs de l'histoire, c'est au cours de cette période qu'elle a pris toute son ampleur. D'abord Darwin a montré que l'homme et toute forme vivante étaient le fruit d'une évolution. Le physicien Hendrik Antoon Lorentz et le mathématicien Henri Poincaré ont pressenti que le temps était une notion relative avant qu'Einstein ne le démontre de façon indubitable. Sein und Zeit, l'oeuvre essentielle de Martin Heidegger, l'un des philosophes les plus importants du 20è siècle, tourne autour de la notion de temps. Toute l'oeuvre de Bergson regorge d'observations pénétrantes sur la durée. Enfin, dans le domaine de la fiction, H.G. Wells a le coup de génie d'imaginer pour la première fois, en 1895, la possibilité d'un déplacement dans le temps à volonté grâce à sa "Machine à explorer le temps". Même si l'idée peut paraître extravagante, elle conditionne la plupart des oeuvres de science-fiction qui vont suivre et qu'on ne dénombre plus. Certains la considèrent d'ailleurs comme la première oeuvre de science-fiction.

D'aspect important d'une oeuvre, chez Zénon, Aristote, saint-Augustin, Newton..., le temps est devenu le centre d'oeuvres contemporaines importantes comme celles d'Hawking et de Prigogine. Au début du siècle, l'astrophysicien Eddington disait avec raison que le temps est "la suprême loi de la nature". Quant à Wells, il l'avait très bien compris et formulé dans ce qui est peut-être l'analyse la plus profonde sur le temps: "Est-ce qu'un cube peut avoir une existence réelle sans durer pendant un espace de temps quelconque? Manifestement, tout corps réel doit s'étendre dans quatre directions. Il doit avoir Longueur, Largeur, Epaisseur et... Durée. Mais par une infirmité naturelle de la chair, nous inclinons à négliger ce fait. Il y a en réalité quatre dimensions: trois que nous appelons les trois plans de l'Espace, et une quatrième: le Temps. On tend cependant à établir une distinction factice entre les trois premières dimensions et la dernière, parce qu'il se trouve que nous ne prenons conscience de ce qui nous entoure que par intermittences, tandis que le temps s'écoule, du passé vers l'avenir, depuis le commencement jusqu'à la fin de notre vie".

Il y a de quoi rester sans voix devant une expression aussi claire d'un enseignement essentiel de la Relativité dix ans avant qu'Einstein ne la conçoive. Outre la question de savoir si Wells avait connaissance des travaux de Lorentz et Poincaré, qui constituaient un beau brouillon des travaux d'Einstein, une question intéressante consisterait à se demander si Einstein, Bergson ou encore Heidegger ont lu le livre de Wells, et dans quelle mesure il les a influencés. Notons que cette citation peut constituer une réponse critique à la philosophie qui sous-tend le célèbre ouvrage d'Edwin Abbott Abbott, "Flatland", extension de l'idéalisme platonicien, et qui ne considère pas que le temps soit une caractéristique propre au monde en trois dimensions, puisqu'il se manifeste dans des univers de dimensions inférieures.



Prologue

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La prison du temps

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D'abord, un constat.

Nous sommes tous prisonniers. Prisonniers du présent, prisonniers du temps. Nous sommes les passagers d'un train infiniment long qui file toujours tout droit, qui ne peut reculer.

Un train qui fonce vers une catastrophe: la collision temporelle.

Le voyage dans le temps semble être la seule façon de nous en sortir. C'est ce dont est convaincu le groupe Kronos. Le groupe Kronos rassemble des savants et des chercheurs de toutes disciplines. Ils envisagent toutes les possibilités de fabriquer le SCOOP, la machine à voyager dans le temps.

La solution de ce problème est une question de survie. Mettons-nous dans la peau d'un enquèteur qui cherche à découvrir et à rassembler les données essentielles concernant la notion de temps. Elle nous concerne tous et touche à tous les domaines du savoir: psychologie, mathématiques, physique, histoire, biologie, philosophie, littérature... Nous devons enfiler les combinaisons de l'ingénieur, de l'artiste, du savant, du stratège, du penseur... mais toujours en allant à l'essentiel.





PARTIE I

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Le début de notre enquète va consister à faire l'état des lieux des recherches sur la notion de temps.

Psychologie du temps

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La psychologie est une discipline récente. Avant sa création, c'est dans la littérature romanesque que l'on trouve sans doute les témoignages les plus parlants sur le sentiment et les sensations d'écoulement du temps. "A la recherche du temps perdu" de Marcel Proust est peut-être l'oeuvre la plus significative, mais "La montagne magique" de Thomas Mann, "Le désert des Tartares" de Dino Buzatti et tant d'autres oeuvres de l'histoire de la littérature mondiale ne sont pas en reste: Shakespeare, Ronsard, Lamartine, Rousseau... Proust émet l'idée intéressante qu'il existe des Illusions temporelles au même titre que des illusions d'optique.

On ne peut ignorer non plus Bergson et Heidegger, même si, assez paradoxalement, Bergson se revendiquant de la psychologie et Heidegger faisant oeuvre de philosophe, l'intérêt accordé à la psychologie semble plus présent chez le second que chez le premier, qui s'attache à une analyse critique de la connaissance et à une réflexion fondamentale sur la nature du temps, tandis que Heidegger s'attache plutôt à la façon dont l'homme perçoit le temps.

Le psychologue Jacques Montangéro a déterminé cinq caractéristiques constituant les traits fondamentaux de la notion de temps: deux aspects principaux:

l'ordre de succession temporel, c'est-à-dire l'ordre des événements ou des instants considérés comme des unités discrètes et

la durée;

trois qualités, qui différencient l'ordre et l'intervalle temporels, de l'ordre et l'intervalle numériques et spatiaux:

l'irréversibilité qui détermine le caractère fixe de l'ordre - l'avant ne peut devenir après dans un même système de référence -, et l'unidirectionalité,

l'alliance des progressions linéaire et cyclique (spirale ou roue qui tourne: dialectique de la permanence et du changement) et l'horizon temporel: passé, présent, futur; début, milieu, fin.

Montangéro considère la simultanéité comme une succession nulle, tout comme Piaget, qui associe par ailleurs succession à ordinal et durée à cardinal, soit digital et analogique, ordre et intervalle.

On peut rapprocher ces caractéristiques des modalités objectives du temps établies par le philosophe Kant. Kant a déterminé clairement les aspects essentiels du temps:

* la succession : avant/après

* la durée : depuis/jusqu'à

* la simultanéité: pendant, en même temps

Deux événements peuvent se succéder ou se dérouler en même temps. Ils ont chacun une durée, ils se passent de tel à tel moment. Pour décider de leur simultanéité ou de leur succession, il faut considérer leur origine. Mais des origines qui se succèdent n'empêchent pas qu'une partie de la durée de chacun des événements coïncide. C'est ici que l'on se rend compte de la richesse de la durée. La détermination de la simultanéité et de la succession de deux événements exige de considérer des "instants" de chacun de ces événements, les deux instants de chacune de leurs origines. Mais la coïncidence de deux événements peut se déterminer par référence à leur permanence, à leur durée.

La durée est l'extension d'un instant.

Mais s'il parle de modalités "objectives", Kant affirme par ailleurs que le temps est la forme pure, a priori, du sens interne, c'est-à-dire de la sensibilité: une intuition sensible; il en fait donc une notion subjective.

Quant au psychologue Paul Fraisse, il a établi trois lois:

1) Plus une activité est morcelée, plus elle paraît durer longtemps

2) Plus une activité est intéressante, plus elle paraît brève.

3) Le temps d'une attente est toujours trop long.

Il suffit, pour illustrer ces lois, de penser à notre perception du temps chez le dentiste, au tribunal, en concert, lors de la pratique de notre sport favori, à l'école...

Einstein disait: "Asseyez-vous une heure près d'une jolie fille, cela passe comme une minute. Asseyez-vous une minute sur un poêle brûlant, et cela passe comme une heure. C'est cela la relativité".

La relativité du temps peut s'observer d'une autre façon, selon les perspectives du long et du court terme. Une période d'ennui ou de désoeuvrement semble s'éterniser, alors que le temps consacré à une passion semble toujours trop court. Mais lorsque l'on repense à ces périodes d'activité avec assez de recul, la période de désoeuvrement est vide et ne prend pas de place dans le temps, tandis que la période consacrée à la passion prend une place importante dans le temps: elle dure.



Physiologie du temps

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Ces observations nous conduisent à un autre témoignage de la relativité du temps. On peut rester toute son existence indifférent à la question du temps et de ses paradoxes, mais il semble que personne ne puisse s'empêcher d'avoir ce sentiment désagréable que le temps passe de plus en plus vite, trop vite, à mesure que l'on vieillit.



Proportions

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Nous jugeons cette accélération de l'écoulement du temps d'après nos sensations et nos impressions.

On pourrait d'abord penser que le même laps de temps prend une valeur différente en fonction de son rapport direct avec l'âge.

Pour un enfant de 5 ans, 1 année représente 1/5è de sa vie.

Pour un homme de 30 ans, la même période ne représente plus qu'1/30è de sa vie.

Et pour une personne de 80 ans, 1/80è de sa vie.

Mais si l'on respecte ces proportions, cela voudrait dire que l'année de l'homme de 30 ans devrait lui paraître 6 fois plus courte que celle de l'enfant de 5 ans, et celle de la personne de 80 ans, 16 fois plus courte que celle de l'enfant de 5 ans et 2,6666 fois plus courte que celle de l'homme de 30 ans. Absurde ou à vérifier?

Cette explication ne vaut que si l'on ramène les rapports entre l'année et l'âge à des proportions plus raisonnables. Mais la question est alors de savoir comment les déterminer?

Le biologiste et physicien P. Lecomte du Noüy a apporté une contribution importante à l'explication de ce paradoxe. Il a établi une constante d'activité physiologique de réparation A qui confirme les proportions développées plus haut. C'est le rapport entre la taille d'une blessure et son temps de cicatrisation. Du Noüy a montré que ce rapport reste constant selon l'âge. Les chiffres montrent que l'activité réparatrice des tissus varie de 1 à 5 de 10 à 60 ans. Une plaie qui cicatrise en 20 jours chez un enfant de 10 ans se cicatrisera en 31 jours à 20 ans, en 41 jours à 30 ans, en 55 jours à 40 ans, en 78 jours à 50 ans et en 100 jours à 60 ans. A des âges différents, il faut des temps différents pour accomplir le même travail.

Or ce temps individuel est mesuré par rapport au temps constant de la révolution des astres qui lui-même sert de modèle au temps de nos montres. Ce temps est étranger à nos activités vitales. En fait, "le temps individuel des choses vivantes qui naissent et qui meurent est plus réel et plus significatif pour nous que le temps mathématique conçu pour nous mais étranger à nos activités vitales", affirme judicieusement ce physicien.

En effet, si on renverse la perspective et qu'on mesure le temps physique au moyen du temps physiologique, on observe que le temps physique s'écoule plus rapidement à la fin qu'au début de la vie, logarithmiquement, comme celui des atomes radioactifs, et plus arithmétiquement. Et on trouve une explication à la sensation d'écoulement plus rapide du temps avec l'âge.

Il faut admettre comme un fait réel qu'une année sidérale est plus courte pour un vieillard que pour un enfant. Elle représente pour le vieillard une échéance plus proche que pour l'enfant. Dans le même temps, il ne pourra pas réaliser autant d'activités ni vivre autant de sensations que l'enfant. Par ailleurs, les courbes mathématiques qui expriment les proportions et les variations de la constante d'activité physiologique de réparation A coïncident sur une partie importante de leur longueur entre 10 et 80 ans. L'hypothèse des proportions trouve donc une confirmation scientifique dans l'observation d'une activité concrète, l'activité physiologique de cicatrisation d'une blessure.



Horloge biologique

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Une autre façon d'expliquer la sensation d'accélération du temps avec l'âge, est de la mettre en rapport avec le ralentissement de l'horloge biologique. Notre cerveau fonctionne grâce à des impulsions électriques qui véhiculent les informations.

Les impulsions électriques ont une fréquence, c'est-à-dire un certain nombre, un rythme de vibrations par unité de temps: une vitesse. Les ondes de la veille, de la vigilance sont les ondes "alpha". Si le rythme, donc la vitesse, donc la fréquence des ondes alpha diminue, les événements extérieurs sembleront se dérouler plus vite. Parce que la vitesse d'assimilation des informations se ralentit chez la personne âgée. Et toujours à cause du fait que le temps est inversément proportionnel à la vitesse, le temps mis par la personne âgée pour assimiler ces informations est plus long que chez une personne plus jeune. Eprouvant de plus en plus de difficultés à suivre le rythme de la vie quotidienne, la personne sent son temps propre s'écouler de plus en plus vite avec l'âge. Et comme tout individu compare, assimile le temps extérieur à son temps propre, la personne âgée a le sentiment que ce temps extérieur s'écoule de plus en plus vite. Pour comprendre ce phénomène, il n'est pas inutile de repenser à l'accélération du temps propre de Totus resté sur terre et au ralentissement du temps propre de Nihil qui voyage dans l'espace à la vitesse de la lumière; le temps extérieur, son temps non propre, semble figé pour le voyageur. Comme il assimile ce temps extérieur à son temps propre, il a le sentiment que son temps propre est ralenti. Mais lorsqu'il retrouve Totus, Nihil se rend compte que le temps extérieur continuait à s'écouler normalement et que c'est son temps propre seul qui a ralenti. Inversément, la personne âgée a l'impression que le temps extérieur passe de plus en plus vite. Elle assimile cette sensation à son temps propre. Mais si elle pouvait avoir un point de comparaison, elle constaterait que le temps extérieur s'écoule normalement et que c'est son temps propre seul qui a accéléré.



Relativité

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Si l'on applique le principe de relativité, qui nous permettra de résoudre les paradoxes scientifiques, à ce temps psychologique, le temps passerait réellement plus vite pour la personne qui le ressent ainsi. Comme la fréquence diminue avec l'éloignement dans le cas d'une information lumineuse, et donne un sentiment de ralentissement du temps, la diminution de la fréquence cérébrale avec l'âge ralentit la capacité de perception des stimuli chez le vieillard.



Maturité

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Un troisième type d'explication de ce phénomène est basé sur la notion de "maturité". Avec l'âge s'acquiert la patience et la sensation de voir passer le temps plus vite. Un enfant ne veut, ne sait pas attendre la satisfaction d'un besoin ou d'un désir. Il est impatient qu'elle se réalise tout de suite. Le temps lui semblera d'autant plus long que la satisfaction est plus lointaine ou lente à venir. La maturité nous apprend à maîtriser nos implusions; l'intervalle de temps entre le désir et sa satisfaction paraît moins long et le temps paraît donc passer plus vite. Présentée ainsi, la maturité pourrait ressembler à de la résignation, à l'attente. Mais d'un autre côté, on accorde moins d'attention au temps, au désir. Donc on agit plus par ailleurs. Et que dire du sens commun qui soutient que la vieillesse fait psychologiquement retomber en enfance. A partir d'un certain âge, le temps recommencerait donc à sembler plus long! Et un paradoxe viendrait miner le paradoxe initial.





Mémoire

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Enfin, il semblerait que la sensation d'accélération du vieillissement soit liée à une diminution des capacités de la mémoire, "si l'on considère que l'estimation subjective du temps est fonction du nombre d'informations enregistrées" (Vidal & Pacault, p.222). Plus le cerveau est capable d'emmagasiner d'informations, plus le temps doit sembler long.

Il est probable que la résolution de ce paradoxe passe par un mélange des différentes solutions proposées.



Temps, vitesse

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L'invention du cinéma a permis de faire une découverte importante dans le domaine de la perception du temps. On s'est ainsi rendu compte que pour un être humain, la vitesse d'écoulement du réel est d'environ 0,04s, soit 25 images par seconde.

Mais c'est un train de limace comparé au mouvement des particules de notre corps, qui se ferait à une vitesse de 40000 km par heure, soit 11,111...km par seconde. Si on ralentit au maximum cette vitesse, 1m par seconde ou 10-33cm en un temps infiniment long, le temps propre de la particule est ralenti d'autant puisque l'organisme évoluera à la vitesse de 1m par seconde ou de 10-33cm en un temps infiniment long.



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